mardi 25 décembre 2012

La noblesse vue par le marquis de La Maisonfort (1763-1827).

"La noblesse n'était jalouse que des grands, que de la cour, elle regardait dans les nuages et ne voyait pas au-dessous d'elle l'hydre qui allait la dévorer."

Source : Marquis de La Maisonfort, Mémoires d'un agent royaliste, éd. Mercure de France, 1998, p.79.

La mort du maréchal de Richelieu, par le marquis de La Maisonfort (1763-1827).

Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1696-1788), par Louis-Charles-Auguste Couder (1790-1873), 1835, huile sur toile, 2,18 × 1,42 m, Château de Versailles en dépôt à la Préfecture d'Aquitaine à Bordeaux.

"Le Maréchal de Richelieu était mort depuis peu. Ce vieillard, à qui il a appartenu de prolonger sous le règne de Louis XV l'éclat du règne de Louis Louis XIV, et de faire se donner la main à ces deux époques, venait de terminer sa brillante carrière. Il n'en restait plus de sa trempe, de son temps, que le maréchal de Biron. Il mourut le 6 décembre 1788 et sa mort fut une calamité. Le respect qu'il inspirait, la confiance qu'on avait en lui resserraient les liens de la subordination dans un corps auquel la police de Paris était souvent confiée. Il régnait dans son régiment des gardes françaises et par lui imposait à tout Paris. Son enterrement fut magnifique. Les gens sensés, et qui voyaient l'orage gronder sur les têtes, le regrettèrent. C'était le dernier des Romains. Il emportait avec lui cette dignité chevaleresque dont tous nos grands seigneurs s'étaient laissé dépouiller. Après lui, la cour de l'infortuné Louis XVI resta composée d'agioteurs, de spéculateurs et de semi-philosophes élevés à l'école des Diderot, des d'Alembert, des Voltaire et prêts, au premier choc, à tomber du haut de leurs piédestaux vermoulus."

Source : Marquis de La Maisonfort, Mémoires d'un agent royaliste, éd. Mercure de France, 1998, p.69.

Portrait de M. Necker (1732-1804), de sa femme, de sa fille et de leur cour par le marquis de La Maisonfort (1763-1827).

 Jacques Necker (1732-1804), par Joseph Siffred Duplessis (1725-1802), fin XVIIIe siècle, Château de Versailles.

"Si la vanité des magistrats, qui se crurent appelés à jouer un grand rôle, échauffa considérablement ce pauvre peuple qui n'en pouvait et qui songeait qu'à être tranquille, celui d'un étranger vint achever de souffler sur tant de matières combustibles. Cet homme qui devait enfanter un amour-propre encore plus irascible peut-être que le sien, mais cependant moins dangereux, M. Necker, sous le prétexte de l'amour du bien public, pour appeler l'attention sur lui, tavelait les faiblesses du gouvernement, les besoins de la France et la prétendue nécessité d'un autre ordre de choses. Réparer le mal ne produisait pas assez d'éclat. On voulait rebâtir et pour édifier un monument politique, il fallait abattre. Non seulement, M. Necker était un financier habile et un prétentieux écrivain, mais la puissance des coteries l'avait fait ministre. Il avait de la fortune, une bonne maison. Sa femme tenait son cercle avec cette adresse, cette pédanterie qui en imposent aux gens médiocres. Sa fille [Anne-Louise Germaine Necker, baronne de Staël (1766-1817)] attirait par son esprit. Tous ces moyens réunis vinrent à l'appui de ses ouvrages. L'engouement avait commencé, le fanatisme continua. On crut voir dans le salon de Mme Necker le péristyle du temple de la fortune. On voulait former une secte : les sectes se présentèrent en foule, les jeunes courtisans pour blâmer la cour, les savants pour avoir des places, les académiciens de l'argent, chacun pour son intérêt particulier, tous pour occuper au nom du prophète toutes les trompettes de la Renommées et se jeter dans toutes les avenues du pouvoir."

Source : Marquis de La Maisonfort, Mémoires d'un agent royaliste, éd. Mercure de France, 1998, p.65.

mercredi 19 décembre 2012

Une image de la prise de la Bastille.

Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, huile sur toile au Musée Carnavalet avant 1907, n° d'inventaire : P.804 (0,570 m x 0,725 m).

" On pourrait multiplier les exemples, les références : on rappellera simplement le rôle décisif de l'école - celle de la IIIe et de la IVe Républiques. Présentée sous forme de tableaux destinés à constituer ce que Kundera a nommé une imagologie, l'histoire de France faisait une bonne place à la prise de la terrible prison. Au mur et dans le livre, l'image classique du peuple armé de piques auquel se sont joints les gardes-françaises qui tirent, à force d'homme, un canon. Au second plan, des bâtiments - habitations, remises - sont en flammes, et l'on abat à coups de haches les chaînes d'un pont-levis. Derrière, grise, ramassée sur elle-même comme une sale bête, la Bastille et ses tours empanachées de fumées, car la garnison tire sur la foule et le faubourg... Voilà. Qu'importe que le gouverneur ait de lui-même fait abaisser le pont-levis [- gouverneur qui a en fin de compte la tête tranchée au pied de la Bastille, après qu'on lui eut promis la vie sauve -], et que la garnison n'ait livrée qu'un semblant de résistance ! D'autres fois, c'est l'instant d'après qu'on représente : le malheureux qu'on extrait de son cachot. Que l'on fête... On a beau savoir qu'il n'y avait là qu'un violeur, qu'un assassin d'enfants, [...] qu'on porte en triomphe, l'image demeure."
Le marquis de Launay, Gouverneur de la Bastille, décapité le 14 juillet 1789 en la place de Grève, à Paris, pour avoir fait tirer sur le peuple après avoir arboré le drapeau blanc, Bibliothèque nationale de France à Paris, n° d'inventaire : QB-1 (1789-07-14)-FOLM98655.

Source : Préface d'Olivier Boura dans Simon-Henri-Nicolas Linguet, Mémoires sur la Bastille, éd. arléa, Paris, 2006, p.52.

dimanche 9 décembre 2012

Le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse légitimé par Louis XIV, vu par le comte Beugnot en 1785.

Jacques Claude, comte Beugnot (1761-1835), portrait daté de 1820, extrait de la Biographie pittoresque des députés, Paris, 1820.

"Quelques jours après, Mme de La Motte me propose de l'accompagner dans une visite qu'elle va faire à M. le duc de Penthièvre, qui se trouvait alors à Châteauvillain. [...] je lui fais observer que n'ayant aucun titre à être reçu du prince, ni rien à lui demander, je ne veux pas subir le dîner de son gentilhomme d'honneur, ni même le café de Son Altesse. Il faut que j'ajoute, pour l'intelligence de ce que je viens de dire, que, dans aucune des maisons des princes du sang, l'étiquette n'était plus scrupuleusement gardée que chez M. le duc de Penthièvre. Son humilité toute chrétienne ne dépassait pas le sanctuaire. Mme de Maintenon avait profondément inculqué au duc de du Maine qu'il devait être d'autant plus sévère à se faire rendre ce qui lui était dû comme prince du sang qu'il pourrait trouver disposés à se mettre à l'aise sur ce point ceux qui s'obstineraient à faire quelque différence entre un prince légitime et un prince légitimé.


Portrait de Louis Jean Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793), huile sur toile, 146 × 114 cm, localisation inconnue.

La tradition des leçons de la royale institutrice s'était gardée dans cette branche détournée de la famille de Louis XIV. Elle n'était pas encore perdue pour la vertueuse famille de M. le duc de Penthièvre, qui, facile dans le commerce de la vie, n'en affectait pas moins sur certains points des prétentions exagérées, sans vouloir reconnaître qu'elles n'étaient plus du tout de saison. Lorsqu'on se présentait à Châteauvillain, le matin, pour faire sa cour, on sollicitait cet honneur par un des gentilshommes du prince, et il était accordé pour le même jour, au sortir de la messe. Le prince accueillait avec une égale et douce bonté tous ceux qui lui étaient présentés.
Les nobles étaient invités à dîner avec lui, les autres chez son gentilhomme. MM. du Hausier et de Florian [l'auteur des Fables], qui en remplissaient tour à tour les fonctions, étaient deux modèles de la plus gracieuse urbanité. Après le dîner du premier gentilhomme, on proposait ou de prendre le café chez lui ou d'aller le prendre avec le prince. On passait au salon, où se trouvaient, en force et le ton haut, ceux qui avaient eu l'honneur de dîner avec Son Altesse. Ils ne manquaient pas de saluer les arrivants avec une complaisance pleine de protection. Il y en avait dans le nombre d'assez mal vêtus, d'autres qui ne paraissaient pas merveilleusement élevés ; mais déjà tous, dans la crainte d'être confondus avec des non-nobles, avaient ressaisi la vieille épée ou le couteau de chasse, car les deux ornements étaient également admis à la cour de Châteauvillain. Ensuite, M. de Penthièvre poussait les attentions jusqu'à la recherche pour les nouveaux venus. Cette figure d'une sérénité si touchante, le son de sa voix, le maintien, tout était en accord chez ce prince pour exprimer la plus haute et la plus aimable vertu. On y reconnaissait un dernier reste du temps de Louis XIV, qui nous avait, il est vrai, été transmis par les grâces, mais que la religion avait sanctifiée. On ne pouvait pas trop payer le plaisir de jouir, même pour quelques instants, de sa douce présence. Cependant, tout ce qui n'était pas noble ne se présentait à Châteauvillain que s'il dépendait du prince ou s'il avait quelque grâce à en solliciter. J'y avais été une fois dans ce dessein, non pas cependant pour un intérêt qui me fût personnel. Je ne pouvais assurément que me louer de la réception qui m'y avait été faite ; toutefois, je n'avais nul désir d'y retourner."

Source : Mémoires du comte Beugnot 1779-1815, éd. Hachette, 1959, p.65-66.

samedi 24 novembre 2012

Un épisode du soulèvement de la duchesse de Berry en 1832.

Élisabeth Vigée-Lebrun (1755–1842), La duchesse de Berry en robe de velours bleu, peinture présentée au Salon de 1824, Huile sur toile, 91 x 71 cm.

"Mentionnons pour mémoire l'affaire de la Pénissière, le 5 juin peu importante pour elle-même, mais célèbre chez les royalistes. Dans ce manoir de la commune de Cugnand, près de Clisson, 45 royalistes commandés par Eugène de Girardin résistèrent de 11h à 9h du soir à la garnison [philippiste] de Clisson, soit trois compagnies (deux du 29e de ligne, une de la garde nationale). A la fin, les soldats mirent le feu au manoir ; les royalistes continuaient à combattre encouragés par deux clairons. Menacés d'asphyxie, Girardin fit une sortie et traversa les lignes avec le minimum de pertes. Huit d'entre eux étaient restés dans le manoir pour les couvrir, quand les planchers et les poutres enflammées s'écroulèrent sur eux de telle façon qu'ils ne furent pas brûlés. Les soldats croyant que tout le monde avait péri, abandonnèrent la lutte, ce qui sauva les royalistes."

Source : Hugues de Changy, Le soulèvement de la duchesse de Berry 1832, éd. D.U.C.-Albatros, Paris, 1986, p.200.

mardi 13 novembre 2012

Charte constitutionnelle donnée par le Roi, le 4 juin 1814.


Exemplaire signé par Louis XVIII
Coffret en cuir
© Bibliothèque de l'Assemblée nationale

La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume, nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps ; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse. Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le voeu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel ; mais en cédant à ce voeu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'État, se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage. En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois s'accorde librement avec le voeu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même. Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes. Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le voeu le plus cher à notre coeur, c'est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui. Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l'Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations. A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit :
Droit public des Français
Article premier. - Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.
Article 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'État.
Article 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.
Article 4. - Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.
Article 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.
Article 6. - Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État.
Article 7. - Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitements du Trésor royal.
Article 8. - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté.
Article 9. - Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles.
Article 10. - L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.
Article 11. - Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens.
Article 12. - La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi.
Formes du gouvernement du roi
Article 13. - La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.
Article 14. - Le roi est le chef suprême de l'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'État.
Article 15. - La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements.
Article 16. - Le roi propose la loi.
Article 17. - La proposition de la loi est portée, au gré du roi, à la Chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt, qui doit être adressée d'abord à la Chambre des députés.
Article 18. - Toute la loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux chambres.
Article 19. - Les chambres ont la faculté de supplier le roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne.
Article 20. - Cette demande pourra être faite par chacune des deux chambres, mais après avoir été discutée en comité secret : elle ne sera envoyée à l'autre Chambre par celle qui l'aura proposée, qu'après un délai de dix jours.
Article 21. - Si la proposition est adoptée par l'autre Chambre, elle sera mise sous les yeux du roi ; si elle est rejetée, elle ne pourra être représentée dans la même session.
Article 22. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.
Article 23. - La liste civile est fixée pour toute la durée du règne, par la première législature assemblée depuis l'avènement du roi. 

Œuvre du peintre Auguste VINCHON (1789-1865) qui représente le Roi Louis XVIII, présidant l’ouverture de la session des Chambres, le 4 juin 1814, en présence du duc d’Orléans (futur roi Louis-Philippe), du duc d’Angoulême, du duc de Berry, du prince de Talleyrand, des membres de la famille royale, des notables et pairs de France. Huile sur toile, conservée dans son cadre d’origine en bois doré. Étude préparatoire pour le grand tableau réalisé par l’artiste en 1838, à la demande du roi Louis-Philippe, pour figurer dans la Galerie de l’Histoire de France au château de Versailles et mis en place en 1842 (A vue : H. : 45 cm L. : 64 cm. Cadre : H. : 70 cm L. : 90 cm).
 
De la Chambre des pairs
Article 24. - La Chambre des pairs est une portion essentielle de la puissance législative.
Article 25. - Elle est convoquée par le roi en même temps que la Chambre des députés des départements. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.
Article 26. - Toute assemblée de la Chambre des pairs qui serait tenue hors du temps de la session de la Chambre des députés, ou qui ne serait pas ordonnée par le roi, est illicite et nulle de plein droit.
Article 27. - La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur nombre est illimité ; il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou les rendre héréditaires, selon sa volonté.
Article 28. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à vingt-cinq ans, et voix délibérative à trente ans seulement.
Article 29. - La Chambre des pairs est présidée par le chancelier de France, et, en son absence, par un pair nommé par le roi.
Article 30. - Les membres de la famille royale et les princes du sang sont pairs par le droit de leur naissance. Ils siègent immédiatement après le président ; mais ils n'ont voix délibérative qu'à vingt-cinq ans.
Article 31. - Les princes ne peuvent prendre séance à la Chambre que de l'ordre du roi, exprimé pour chaque session par un message, à peine de nullité de tout ce qui aurait été fait en leur présence.
Article 32. - Toutes les délibérations de la Chambre des pairs sont secrètes.
Article 33. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi.
Article 34. - Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.
De la Chambre des députés des départements
Article 35. - La Chambre des députés sera composée des députés par les collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des lois.
Article 36. - Chaque département aura le même nombre de députés qu'il a eu jusqu'à présent.
Article 37. - Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que la Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième.
Article 38. - Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de quarante ans, et s'il ne paie une contribution directe de mille francs.
Article 39. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département cinquante personnes de l'âge indiqué, payant au moins mille francs de contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés au-dessous de mille francs, et ceux-ci pourront être élus concurremment avec les premiers.
Article 40. - Les électeurs qui concourent à la nomination des députés, ne peuvent avoir droit de suffrage s'ils ne paient une contribution directe de trois cent francs, et s'ils ont moins de trente ans.
Article 41. - Les présidents des collèges électoraux seront nommés par le roi et de droit membres du collège.
Article 42. - La moitié au moins des députés sera choisie parmi les éligibles qui ont leur domicile politique dans le département.
Article 43. - Le président de la Chambre des députés est nommé par le roi, sur une liste de cinq membres présentée par la Chambre.
Article 44. - Les séances de la Chambre sont publiques ; mais la demande de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en comité secret.
Article 45. - La Chambre se partage en deux bureaux pour discuter les projets qui lui ont été présentés de la part du roi.
Article 46. - Aucun amendement ne peut être fait à une loi, s'il n'a été proposé ou consenti par le roi, et s'il n'a été renvoyé et discuté dans les bureaux.
Article 47. - La Chambre des députés reçoit toutes les propositions d'impôts ; ce n'est qu'après que ces propositions ont été admises, qu'elles peuvent être portées à la Chambre des pairs.
Article 48. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi.
Article 49. - L'impôt foncier n'est consenti que pour un an. Les impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs années.
Article 50. - Le roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois.
Article 51. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de la Chambre, durant la session, et dans les six semaines qui l'auront précédée ou suivie.
Article 52. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.
Article 53. - Toute pétition à l'une ou l'autre des Chambres ne peut être faite et présentée que par écrit. La loi interdit d'en apporter en personne et à la barre.
Des ministres
Article 54. - Les ministres peuvent être membres de la Chambre des pairs ou de la Chambre des députés. Ils ont en outre leur entrée dans l'une ou l'autre Chambre, et doivent être entendus quand ils le demandent.
Article 55. - La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les juger.
Article 56. - Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits, et en détermineront la poursuite.
De l'ordre judiciaire
Article 57. - Toute justice émane du roi. Elle s'administre en son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue.
Article 58. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.
Article 59. - Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une loi. Article 60. - L'institution actuelle des juges de commerce est conservée.
Article 61. - La justice de paix est également conservée. Les juges de paix, quoique nommés par le roi, ne sont point inamovibles.
Article 62. - Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.
Article 63. - Il ne pourra en conséquence être créé de commissions et tribunaux extraordinaires. Ne sont pas comprises sous cette dénomination les juridictions prévôtales, si leur rétablissement est jugé nécessaire.
Article 64. - Les débats seront publics en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les moeurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.
Article 65. - L'institution des jurés est conservée. Les changements qu'une plus longue expérience ferait juger nécessaires, ne peuvent être effectués que par une loi.
Article 66. - La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne pourra pas être rétablie.
Article 67. - Le roi a le droit de faire grâce, et celui de commuer les peines.
Article 68. - Le Code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont pas contraires à la présente Charte, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé. Droits particuliers garantis par l'État
Article 69. - Les militaires en activité de service, les officiers et soldats en retraite, les veuves, les officiers et soldats pensionnés, conserveront leurs grades, honneurs et pensions.
Article 70. - La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable.
Article 71. - La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle conserve les siens. Le roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur accorde que des rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société.
Article 72. - La Légion d'honneur est maintenue. Le roi déterminera les règlements intérieurs et la décoration.
Article 73. - Les colonies sont régies par des lois et des règlements particuliers.
Article 74. - Le roi et ses successeurs jureront, dans la solennité de leur sacre, d'observer fidèlement la présente Charte constitutionnelle.
Articles transitoires
Article 75. - Les députés des départements de France qui siégeaient au Corps législatif lors du dernier ajournement, continueront de siéger à la Chambre des députés jusqu'à remplacement.
Article 76. - Le premier renouvellement d'un cinquième de la Chambre des députés aura lieu au plus tard en l'année 1816, suivant l'ordre établi entre les séries.

Portrait en buste de Louis XVIII, Huile sur toile, école française du XIXe Siècle, H : 72 cm L : 56 cm.

© Assemblée nationale
Sources : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/constitutions/charte-constitutionnelle-1814.asp
http://www.paristribune.info/Les-frissons-de-la-foule-pour-la-vente-Coutau-Begarie-sur-des-souvenirs-historiques_a6811.html

Louis-Philippe d'Orléans, Lieutenant général du royaume, et l'exil du Roi Charles X.

"La retraite vers les provinces fidèles était la dernière carte de Charles X. Depuis la signature des Ordonnances dont la constitutionnalité ne faisait pour lui aucun doute, car fondées sur l'article 14 de la Charte, le roi avait laissé passer toutes les occasions de sortir vainqueur de l'insurrection parisienne. Tant que les troupes se trouvaient à Paris, Charles X était en position de force pour négocier. Le 30 juillet, les troupes avaient évacué Paris, mais elles isolaient la capitale et les renforts en provenance du camp de Saint-Omer et de Lunéville étaient en marche. L'armée restait fidèle dans les départements, et, à Saint-Cloud, Charles X était entouré de douze mille hommes de sa Garde. Mais le roi répugnait aux solutions de force : après l'échec de la mission du duc de Mortemart, il se retira sur Versailles le 31 juillet, puis à Rambouillet le 1er août. Charles X voulait sans doute, en s'éloignant de Paris, apaiser les esprits et montrer sa volonté de conciliation.

Horace Vernet (1789–1863), Portrait de Charles X (1757-1836) Roi de France et de Navarre, huile sur toile.

Ces retraits successifs furent interprétés par les insurgés comme un aveu de faiblesse. Ils permirent à l'intrigue orléaniste de se développer tout à son aise. L'exemple de l'Angleterre entraînait tous les esprits : depuis janvier 1830, Thiers et Mignet faisaient, dans le National l'apologie de la révolution anglaise de 1688 ; une proclamation, appelant le duc d'Orléans au trône, et rédigée par Thiers, avait paru le 30 juillet dans les organes de l'opposition, le Courrier, le Commerce et le National. Le même jour, les députés de l'opposition libérale, effrayés par la république, poussé par Lafitte, Odilon Barrot, Casimir Périer, offrirent au duc d'Orléans les fonctions de Lieutenant général du royaume. Et pourtant, dès le 31 juillet, le duc d'Orléans montrait qu'il ne s'en satisferait pas, qu'il visait la couronne.
Charles X allait tenir lui-même l'étrier pour son cousin. Dans la nuit du 1er août, à Rambouillet, le roi se résigna à abdiquer. Il entérina d'abord la nomination du duc d'Orléans, lieutenant général du royaume :

"Le Roi, voulant mettre fin aux troubles qui existent dans la capitale et dans une partie de la France, comptant d'ailleurs sur le sincère attachement de son cousin le Duc d'Orléans, le nomme lieutenant général du royaume.
Le Roi, ayant jugé convenable de retirer ces ordonnances du 25 juillet, approuve que les Chambres se réunissent le 3 août, et il veut espérer qu'elles rétabliront la tranquillité en France...
Fait à Rambouillet, le 1er août 1830.
Charles".

Horace Vernet (1789-1863), Louis-Philippe, duc d’Orléans, nommé lieutenant général du royaume, quitte à cheval le Palais Royal Pour se rendre à l’hôtel de ville de Paris, le 31 juillet 1830, 1832. Huile sur toile - 215 x 261 cm.Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon. Photo : RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot.


L'acte d'abdication proprement dit était contenu dans une lettre de Charles X au duc d'Orléans :

"Mon cousin,
Je suis trop profondément pénétré des maux qui affligent et pourraient menacer mes peuples pour n'avoir pas cherché un moyen de les prévenir. J'ai donc pris la résolution d'abdiquer la couronne en faveur de mon petit-fils le duc de Bordeaux.
Le Dauphin qui partage mes sentiments, renonce lui-aussi à ses droits en faveur de son neveu.
Vous aurez, en votre qualité de lieutenant général du royaume à faire proclamer l'avènement de Henri V à la couronne. Vous prendrez d'ailleurs toutes les mesures qui vous concernent pour régler les formes du nouveau gouvernement pendant la minorité du nouveau roi...
Vous communiquerez mes intentions au corps diplomatique et vous ferez connaître le plus tôt possible la proclamtion par laquelle mon petit-fils sera reconnu sous le nom de Henri V...
Signé : Charles, Louis-Antoine".

Lorsque le duc d'Orléans recevra ces deux lettres des mains du général de Latour-Foissac, le sort de la royauté légitime en France allait se décider. En acceptant une passation de pouvoir régulière, l'abdication de Charles X, la reconnaissance par les Chambres de l'avènement d'Henri V, et la régence du duc d'Orléans, la légitimité dynastique était respectée. Le choix du duc d'Orléans, le 2 août, de fonder une royauté nouvelle posa la première pierre du parti légitimiste.
En droit monarchique, rien n'autorisait le duc d'Orléans à porter la couronne ; il violait l'ordre de succession au trône de France établi selon les anciennes lois fondamentales et reconnu par la Charte. Sa position légitime et légale en tant que lieutenant général du royaume, perdait ces caractères en s'attribuant la royauté auxquels s'ajoutait le malaise de la situation. Le duc d'Orléans se retranchait derrière la nécessité, son principal argument avec la peur de l'anarchie, état provisoire qui ne pourrait fonder un pouvoir durable. La Monarchie de Juillet est né d'une occasion, une circonstance entraînera sa disparition.
Louis-Philippe d'Orléans allait très vite lever le masque. Il refusa d'abord d'accepter le duc de Bordeaux ; puis le 3 août, devant les restes de la Chambre des députés et de la pairie réunies1, le lieutenant général du royaume prononça un discours où il mentionna les abdications de Charles X et du duc d'Angoulême, mais ne dit mot des droits du duc de Bordeaux. La présence de la famille royale à Rambouillet entourée d'une garde encore nombreuse et fidèle pouvait être un obstacle, on lança l'émeute parisienne sur Rambouillet et l'intimidation qui avait si souvent réussi avec Louis XVI, triompha encore avec Charles X. Il ne restait plus pour la branche aînée que la route de l'exil."

1. Sur 430 députés, 240 seulement étaient présents ; il y avait soixante pairs sur 364 (A. Nettement, Histoire de la Restauration, 1860-1868, Tome 8, p.713)


Source : Hugues de Changy, Le soulèvement de la duchesse de Berry 1832, éd. D.U.C.-Albatros, Paris, 1986, p.17-20.



jeudi 9 août 2012

Discours de Chateaubriand, le 7 août 1830.

  Portrait de Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome, par Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824), 1808, huile sur toile, 130 cm x 96cm, Musée de Saint-Malo.

"Le 7 août à 9 heures Chateaubriand prononçait à la Chambre des Pairs un discours, véritable réquisitoire dont il avait seulement consenti à adoucir quelques passages, à la demande d'officieux du Palais-Royal. Après avoir flétri "une monarchie bâtarde d'une nuit sanglante, la conspiration de la bêtise et de l'hypocrisie"... mais aussi, cette "terreur de château organisée par des eunuques" pour "remplacer la terreur de la République et le joug de fer de l'Empire", l'orateur suggérait comme solution, le duc de Bordeaux. "Quel sang crie aujourd'hui contre lui ? Je propose le duc de Bordeaux tout simplement comme une nécessité de meilleur aloi que celle dont on argumente..." Puis la péroraison à jamais mémorable : "Inutile Cassandre j'ai assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés, il ne me reste qu'à m'asseoir sur les débris d'un naufrage que j'ai tant de fois prédit. Je reconnais au malheur toutes les sortes de puissance, excepté celle de me délier de mes serments de fidélité. Je dois aussi rendre ma vie uniforme ; après tout ce que j'ai fait, dit et écrit pour les Bourbons, je serais le dernier des misérables si je les reniais au moment où pour la troisième et dernière fois, ils s'acheminent vers l'exil". Enfin : "Si j'avais le droit de disposer d'une couronne, je la mettrais volontiers aux pieds de M. le duc d'Orléans. Mais je ne vois de vacant qu'un tombeau à Saint-Denis, et non un trône".

S.A.R. Henri d'Artois (1820-1883), duc de Bordeaux, comte de Chambord, et Henri V.

Source : Jean-Paul Garnier, Le Drapeau Blanc, éd. Librairie Académique Perrin, 1971, pp.268-269.

samedi 28 juillet 2012

Un portrait de Philippe-Égalité (1747-1793).

"En janvier 1792 les Jacobins, dans leur majorité, imaginaient difficilement le France en république. Le maintien de Louis XVI sur le trône se révélait impossible, car, de toute évidence le roi, sûr de son bon droit, de l'honnêteté de ses intentions, répugnait à de profondes réformes et tenterait de s'y opposer, d'où l'intérêt d'une solution s'inspirant du précédent anglais de 1688. Pourquoi ne pas "récompenser le civisme de M. d'Orléans" ? L'orléanisme correspondait aux vœux de la plupart des révolutionnaires de 1792, qui rêvaient d'une monarchie dont le souverain serait choisi par la nation. Louis-Philippe se flattera de répondre à ce désir en 1830. Les amis les plus bienveillants de Philippe-Égalité, Mme Elliot et Lord Holland le dépeignent "submergé par les événements, incapable d'en prendre les rênes et dominé par une faction d'arrivistes, [Pierre Choderlos de] Laclos, Merlin (de Douai), Sillery, qui se servaient de sa rancoeur contre la cour pour en faire un prétendant au trône".

Attribué à Aleksandre Kucharski (1741-1819), Monsieur Choderlos de Laclos (1741-1803), pastel sur papier, Musée de l'hôtel de Berny, Amiens.

En réalité il n'a ni l'étoffe d'un usurpateur ni simplement celle d'un chef, et sa personnalité se vérifiera trop falote pour réaliser les vastes desseins de ses partisans. Le visage blême il ira jusqu'à voter cette mort du roi dont, pour Raymond Poincarré, la France ne s'est jamais complètement remise, en débitant des platitudes : Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteraient par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort." Des cris d'indignation : "Oh ! l'horreur ! Oh ! le monstre !" seront poussés auxquels succédera un silence glacial. Méprisant, Robespierre laissera échapper de ses lèvres pincées : "Le malheureux, il n'était permis qu'à lui de se récuser et il n'a pas osé le faire !" Dans une tribune un plaisantin ironisera lourdement : "Heureusement que Louis nous laisse de tous ses parents celui qui peut le plus dégoûter de la royauté."

D'après sir Joshua Reynolds (1723-1792), portrait de Louis Philippe d'Orléans, duc de Chartres, puis duc d'Orléans, et enfin Philippe-Égalité, en uniforme de hussards, copie d'après un original disparu, vers 1779, huile sur toile, Musée Condé, Chantilly.

Trois semaines se passent et à une séance aux Jacobins, Égalité, par amour du peuple sans doute, se vantera de n'être que le fils du "défunt duc d'Orléans" - ce qui logiquement devrait lui enlever tous les droits à la couronne - mais du "cocher Lefranc", amant de sa mère, "cette moderne Messaline". Danton s'exclamera hors de lui : "Le misérable me donne mal au cœur", il y a de quoi ! Lors des massacres de septembre il est monté à la tribune, coiffé démagogiquement du bonnet rouge. En lisant la liste des votants, Louis XVI s'est borné à soupirer, chrétiennement résigné : "Je ne cherche aucun espoir, mais je suis affligé de ce que M. d'Orléans, mon parent, a voté ma mort." Pouvait-on en moins de mots et en termes aussi bénins prononcer plus terrible, plus définitif réquisitoire ? La tache de sang de Macbeth ne s'effacera pas.
En redingote gris-violet, point déguisé, Philippe, dissimulé dans un cabriolet au coin de la rue des Champs-Élysées, actuellement Boissy-d'Anglas, assistera à une cinquantaine pas à l'exécution de son cousin. A-t-on bu le soir au Raincy ou à Mousseaux, au cours d'un grand dîner, "à la mort de Louis XVI et souhaité celle de chacun des rois d'Europe" ? Les ennemis d’Égalité l'ont prétendu, mais peut-on l'affirmer, et le mot du lendemain : "Le gros cochon a été saigné hier", est-il bien authentique ?
Quelles circonstances atténuantes le duc d'Orléans peut-il invoquer pour excuser son comportement ? Pourquoi ne s'est-il pas, au moins, abstenu lors du procès du roi ? Il se contentera de gémir devant Mme Elliott hors d'elle :"Vous ne pouvez pas me juger ; je ne pouvais éviter de faire ce que j'ai fait Je suis l'esclave d'une faction plus que personne en France - cela est vrai mais à qui la faute ? Je suis plus à plaindre que vous ne pouvez l'imaginer." Et une autre fois il reprendra : "Je ne m'appartiens pas, j'obéis à ce que qui m'entoure." Jusqu'à un certain point le comte d'Elgin, correspondant de Lord  Grenville, confirmera ces allégations en mandant au Secrétaire d’État au Foreign Office : "On sait avec avec certitude que, à différentes époques, depuis le commencement de la Révolution, le duc d'Orléans a désiré se retirer mais fut contraint de continuer."

Thomas Gainsborough (1727-1788), portrait de Grace Dalrymple Eliott (1754?-1823), vers 1778, The Frick Collection, New-York.

Informé, Louis-Philippe adressera une lettre "très dure", puis des reproches verbaux à son père qui, en pleurant, a confessé à Montpensier le soir du vote : "Je suis trop malheureux ! Je ne conçois pas comment j'ai pu être entraîné à faire ce que j'ai fait", aveu qui contraste avec le langage tenu à Mme Elliott.
A bien des égards le citoyen Égalité rappelle ce Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, qui, notera Saint-Beuve, "poussé de même par ceux qui le gouvernaient compromettait ses amis et ensuite les plantait là, au péril de leur tête", avec cette différence toutefois que "Philippe se laissa compromettre par eux, au point d'y tout perdre, tête, cœur et vie. Gaston, plus avisé, n'y laissait en chemin que l'honneur". En quelques lignes le cardinal de Retz avait tracé le portrait définitif de cet exécrable prince, modèle du père de Louis-Philippe : "Il entra dans les affaires parce qu'il n'avait pas la force de résister à ceux qui l'y entraînaient et il en sortit toujours avec honte, parce qu'il n'avait pas le courage de les soutenir."

 Gaston d'Orléans (1608-1660), frère de Louis XIII (1601-1643).

Dernière manœuvre avant d'être exécuté - Les Dieux ont soif - Philippe jugera habile de mettre la Maçonnerie en sommeil : il veut donner de nouveaux gages, détourner les soupçons, montrer qu'il a renoncé à ses ambitions. Il ferme le Grand Orient, et le Journal de Paris, du 22 février 1793, publie sa lettre explicative : "Dans un temps où personne assurément ne prévoyait une autre Révolution, je m'étais attaché à la Franc-Maçonnerie, qui offrait une certaine image de l'égalité, comme je m'étais attaché au Parlement qui offrait une sorte d'image de la liberté. J'ai depuis quitté le fantôme pour la liberté." Vraiment ! En quoi consiste donc cette prétendue réalité qu'il invoque, sans conviction ?"

Source : Jean-Paul Garnier, Le Drapeau Blanc, éd. Librairie Académique Perrin, 1971, pp.68-71.

samedi 21 juillet 2012

Le 27 avril 1789, l'affaire Réveillon.



"L'action se développe.
Renvoyant Du Crest, Philippe [d'Orléans, futur Philippe-Égalité (1747-1793)] le remplacera par La Touche et liera parti avec Adrien Duport moins en vue. Ce jeune conseiller au Parlement, discret, réservé, assemble, en le prélevant dans les diverses loges, une équipe de combat fort efficace, composée de douze, puis de trente membres. Elle se chargera d'organiser, à travers le pays, "une vaste complicité", de répandre mots d'ordre et brochures. Il en partira tant du Palais-Royal que de la maison Duport d'innombrables ballots, appelés à un grand retentissement. Pour disposer d'une presse favorable, on achètera les journalistes.

Portrait de Louis-Philippe Joseph, duc d'Orléans dit Philippe-Égalité, par William H. Craft (v.1740-v.1805), 1790, miniature en émail, Musée du Louvre, Paris (RF 30879, recto).

Par ailleurs, il était facile de provoquer des bagarres ; avec le chômage et le mauvais ravitaillement des provinces, Paris se remplissait d'ouvriers affamés, prêts à en venir aux mains. "Pour 100 louis, à l'estimation de Mirabeau, on pouvait avoir une belle émeute." M. Révillon [ou Réveillon], élu aux états généraux contre un candidat du duc d'Orléans, en fit l'expérience. La foule mit le feu, le 27 avril, à sa fabrique."

Source : Jean-Paul Garnier, Le Drapeau Blanc, éd. Librairie Académique Perrin, 1971, p.56