jeudi 19 avril 2012

M. de Landsmath, à sa façon, soutient moralement Louis XV, après l'attentat de Damiens.

L'Horrible attentat du 5 janvier 1757, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-QB-201 (102).

"J'ai entendu plusieurs fois M. de Landsmath, écuyer, commandant de la Vénerie, qui venait souvent chez mon père, dire qu'au bruit de la nouvelle de l'assassinat du roi il s'était rendu précipitamment chez Sa Majesté. Je ne puis répéter les expressions un peu cavalière dont il se servait pour rassurer le roi ; mais le récit qu'il en faisait, lorsque l'on fut calmé sur les suites de ce funeste événement, amusa pendant longtemps les sociétés où on me lui faisait raconter. Ce M. de Landsmath était un vieux militaire qui avait donné de grandes preuves de valeur ; rien n'avait pu soumettre son ton et son excessive franchise aux convenances et aux usages respectueux de la cour. Le roi l'aimait beaucoup. Il était d'une force prodigieuse et avait souvent lutté de vigueur du poignet avec le maréchal de Saxe, renommé par sa grande force. M. de Landsmath avait une voix tonnante. Entré chez Louis XV, le jour de l'horrible attentat de Damiens, peu d'instants après, il trouva près du roi la dauphine et Mesdames filles du roi : toutes ces princesses fondant en larmes entouraient le lit de Sa Majesté. "Faites sortir toutes ces pleureuses, Sire, dit le vieil écuyer, j'ai besoin de vous parler seul." Le roi fit signe aux princesses de se retirer. "Allons, dit Landsmath, votre blessure n'est rien, vous aviez force vestes et gilets." Puis, découvrant sa poitrine : "Voyez, lui dit-il en lui montrant quatre ou cinq grandes cicatrices, voilà qui compte ; il y a trente ans que j'ai reçu ces blessures ; allons, toussez fort." Le roi toussa. Puis prenant le vase de nuit, il enjoignit à Sa Majesté dans l'expression la plus brève faire usage. Le roi lui obéit. "Ce n'est rien, dit Landsmath, moquez-vous de cela ; dans quatre jours nous forcerons un cerf. - Mais si le fer est empoisonné ? dit le roi. - Vieux contes que tout cela, reprit-il ; si la chose était possible, la veste et les gilets auraient nettoyé le fer de quelques mauvaises drogues." Le roi fut calmé et passa une très bonne nuit.
Ce même M. de Landsmath, qui, par son langage militaire et familier, avait calmé les alarmes de Louis XV le jour de l'horrible attentat de Damiens était de ces gens qui, au milieu des cours les plus imposantes, font entendre quelquefois de brusques vérités. Il est à remarquer qu'il se trouve dans presque toutes les cours un personnage de ce genre, qui semble replacer les anciens fous des rois et s'arroger le droit de tout dire."

Source : Mémoires de Madame Campan, Première femme de chambre de Marie-Antoinette, éd. Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé, (1988) 2003, pp. 455-457.

Bazire et Soulaigre, valets de chambre du roi, restent interdits par l'air imposant de Louis XIV, auprès de qui ils venaient en réclamation.

"Louis XIV était fort bon pour ses serviteurs intimes, mais aussitôt qu'il prenait son attitude de souverain, les gens les plus accoutumés à le voir dans ses habitudes privées étaient aussi intimidés que si pour la première fois de leur vie, ils paraissaient en sa présence. Des membres de la maison civile de Sa Majesté, appelés alors commensalité, jouissant du titre d'écuyers et des privilèges attachés aux officiers de la maison du roi, eurent à réclamer quelques prérogatives dont le corps de ville de Saint-Germain où ils résidaient leur contestait l'exercice. Réunis en assez grand nombre dans cette ville, ils obtinrent l'agrément du ministre de la maison pour envoyer une députation au roi et choisirent parmi eux deux valets de chambre de Sa Majesté, nommés Bazire et Soulaigre. Le lever du roi fini, on appelle la députation des habitants de la ville de Saint-Germain ; ils entrent avec confiance, le roi les regarde et prend son attitude imposante. Bazire, l'un de ces valets de chambre, devait parler mais Louis le Grand le regarde. Il ne voit plus en lui le prince qu'il sert habituellement dans son intérieur ; il s'intimide, la parole lui manque : il se remet cependant et débute comme de raison par le mot Sire. Mais s'intimide de nouveau et, ne trouvant plus dans sa mémoire la moindre des choses qu'il avait à dire, il répète encore deux ou trois fois le même mot, puis termine en disant "Sire, voilà Soulaigre." Soulaigre, mécontent de Bazire et se flattant de se mieux acquitter de son discours, prend la parole. Sire est répété de même plusieurs fois ; son trouble égale celui de son camarade et il finit par dire : "Sire, voilà Bazire." Le roi sourit et leur répondit : "Messieurs, je connais le motif qui vous amène en députation près de moi, j'y ferai raison et je suis très satisfait de la manière dont vous avez rempli votre mission de députés.""

Portrait de Louis XIV et sa famille, vers 1710, par Nicolas de Largillierre (1656-1746), Wallace Collection, London.

Source : Mémoires de Madame Campan, Première femme de chambre de Marie-Antoinette, éd. Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé, (1988) 2003, pp. 450-452.

Molière dédommagé par Louis XIV des dédains des officiers de la chambre.

"Un vieux médecin ordinaire de Louis XIV, qui existait encore lors du mariage de Louis XV, raconta au père de M. Campan une anecdote trop marquante pour qu'elle soit restée inconnue. Cependant ce vieux médecin, nommé M. Lafosse, était un homme d'esprit, d'honneur et incapable d'inventer cette histoire. Il disait que Louis XIV ayant su que les officiers de sa chambre témoignaient par des dédains offensants combien ils étaient blessés de manger à la table du contrôleur de la bouche avec Molière, valet de chambre du roi, parce qu'il avait joué la comédie, cet homme célèbre s'abstenait de se présenter à cette table. Louis XIV, voulant faire cesser des outrages qui ne devaient pas s'adresser à un des plus grands génies de son siècle, dit un matin à Molière à l'heure de son petit lever : "On dit que vous faites maigre chère ici, Molière, et que les officiers de ma chambre ne vous trouvent pas fait pour manger avec eux. Vous avez peut-être faim, moi-même je m'éveille avec un très bon appétit ; mettez-vous à cette table et qu'on me serve mon en cas de nuit." Alors le roi, coupant sa volaille et ayant ordonné à Molière de s'asseoir, lui sert une aile, en prend en même temps une pour lui et ordonne que l'on introduise les entrées familières qui se composaient des personnes les plus marquantes et les plus favorisées de la cour. "Vous me voyez, leur dit le roi, occupé de faire manger Molière que mes valets de chambre ne trouvent pas assez bonne compagnie pour eux." De ce moment Molière n'eut plus besoin de se présenter à cette table de service, tout la cour s'empressa de lui faire des invitations."

Louis XIV et Molière, par Jean-Léon Gérôme (1824-1904), 1863.

Source : Mémoires de Madame Campan, Première femme de chambre de Marie-Antoinette, éd. Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé, (1988) 2003, pp.447-449.

jeudi 5 avril 2012

Les Colonnes infernales : le témoignage de la comtesse de La Bouëre des ravages commis par les bleus, ces patriotes, ces républicains.

"La pensée la plus douloureuse et la plus accablante pour nous était que le danger que nous fuyions venait des Français, de compatriotes que nous craignions plus que des bêtes féroces... Quelques fois nous cherchions à nous rassurer en cas de rencontre imprévue, nous nous efforcions de nous raisonner et de penser que c'étaient pourtant des hommes ! qu'il devait leur être resté quelques sentiments de pitié pour des femmes inoffensives qui ne leur avaient fait aucun mal ! ... Il ne faut pas le dissimuler : à force d'apprendre leurs actes de barbarie et les massacres qu'ils faisaient tous les jours, la terreur que les bleus inspiraient renversait toutes les idées, on finissait par leur prêter des figures fantastiques et effrayantes, ils ne se présentaient plus à l'imagination avec des traits humains...

Détail du Massacre du Moulin de la Reine, église Saint-Hilaire, Montilliers, Maine-et-Loire.

Quelques mères de famille essayèrent de ne pas sortir de leurs maisons, la plupart payèrent de leur vie cet acte de courage inutile. Si, par hasard, un soldat plus humain arrivait avant sa bande, il invitait ces pauvres femmes à s'éloigner et se soustraire à la vue de ses camarades ; quelquefois, on les faisait partir pour mettre le feu à lueur maison, leur disant qu'elles étaient trop heureuses d'être épargnées !

Les femmes de la métairie de la Teullière qui n'avaient peut-être pas voulu s'éloigner, ou qui s'étaient décidées trop tard, ont été massacrées, le 20 janvier, dans le pré des Aulnais-Jagus. Manon, qui se trouvait près d'elles, fut poursuivie à coups de fusil par les bleus ; elle eut le bonheur de se sauver sans avoir été atteinte.

Ces mêmes soldats, dont les baïonnettes sont encore sanglantes, se portent au petit hameau de la Pannissière ; tous les habitants avaient fui, à l'exception d'une jeune femme restée à cause de ses enfants. Ces monstres la maltraitent, menacent de brûler sa maison ; cette pauvre mère les supplie d'avoir pitié de ses enfants, de sa pauvreté... Enfin, un soldat plus humain entraîne les autres hors de la maison ; mais l'un d'eux, semblable à un tigre, retourne malgré celui plus pitoyable, et du seuil de la porte ajuste cette femme presque à bout portant ; elle était debout et a la jambe traversée par une balle ; cet homme allait l'achever, sans son camarade qui le prit sous le bras et l'entraîna dehors.
Je tiens ce récit de cette pauvre jeune femme qui avait déjà le malheur d'être veuve d'un soldat royaliste ; j'ai vu sa blessure, la balle avait traversé ses vêtements et un meuble. On l'appelait la Mocet, et un jour j'ai couché chez elle après une déroute.

Quelques temps après, un bleu égaré entra dans une métairie, il demanda à manger à la métayère qui venait de coucher ses enfants et se trouvait seule ; elle s'empressa de lui préparer son repas. Pendant ce temps, cet homme aiguisait ses armes en lui disant : "que c'était pour faire périr ceux qui se trouvaient dans le village."
Il lui raconta les cruautés et les incendies de la journée, et finit en lui annonçant que tout y passera bientôt ! ... Cette femme frémissait d'horreur, songeait à ses enfants, à ses voisins. Heureusement, l'incendiaire avait été aperçu par un enfant qui courut avertir des gars qui n'avaient pas peur. Ils se hâtent, écoutent à la porte, l'ouvrent brusquement et s'emparent de cet homme ; après l'avoir engagé à faire un acte de contrition, ils le fusillèrent pour l'empêcher de commettre les crimes qu'il préméditait.

 Un des charniers de la guerre de Vendée découvert au Mans (Sarthe), I.N.R.A.P. - Hervé Paitier.

Il y a une consolation pour les opprimés : c'est que leurs persécuteurs finissent toujours par être rejetés des honnêtes gens, et même par leurs complices.
La Convention recevait de partout des plaintes relativement aux incendies et aux ravages qui avaient lieu dans la Vendée, par les ordres du général Turreau.
Ces plaintes lui arrivaient des patriotes qui avaient leurs propriétés dévastées comme celles des royalistes ; la majorité était entre les mains des partisans de la Révolution qui étaient possesseurs de ce qu'on appelait biens nationaux.
On calcula que les épouvantables désastres des armées incendiaires, loin d'avoir réussi à pacifier les pays insurgés, n'avaient servi qu'à ranimer la guerre civile ; alors la Convention se décida à rappeler Turreau. Il fut même au moment d'être arrêté par les autorités, le 23 avril 1794, mais il reçut l'ordre d'aller prendre le commandement de Belle-Isle en Mer.
Le général Vimeux lui succéda.
Plus tard, la Convention voulant pacifier la Vendée y préluda par l'arrestation de Carrier qui fut mis en jugement. En juillet 1794, Turreau fut dénoncé par Merlin de Thionville pour ses cruautés dans l'Ouest. Le député Alquier produisit contre lui, le 28 septembre, un ordre de massacre expédié au général Moulin ; décrété d'accusation, il fut mis dans la prison du Plessis où il publia une justification qu'il appuyait des ordres du gouvernement.
Je crois que c'est Réal qui devait être son défenseur. Mais des circonstances l'en ayant empêché, ce fut son secrétaire Courtin qui s'en chargea. Il était éloquent, et parvint à le sauver par un moyen inattendu ; il présenta à l'audience un homme ayant les oreilles coupées comme une victime des Vendéens. Ce moyen de défense, accompagné d'une élocution facile, persuada des juges qui avaient à se reprocher des ordres non moins barbares, il fut absous...

 General Louis Marie Turreau de Garambouville (1756-1816), par Louis Hersent (1777-1860), 1800, Musée Carnavalet, Paris.

L'histoire de la Vendée écrite par ce général, dans l'intention de pallier les horreurs de tous genres exécutées d'après ses ordres dans ce malheureux pays, n'a été que trop consultée par tous les écrivains qui l'ont copiée tour à tour ; de là la difficulté de faire une histoire véridique de la guerre de la Vendée.

Le secrétaire de Turreau, depuis procureur impérial, m'a raconté qu'à Tiffauges tout le monde avait fui à l'approche des républicains, il n'était resté qu'une malheureuse femme infirme qui n'avait pu s'éloigner. Elle fut la victime de plus de soixante soldats qui l'outragèrent de la manière la plus odieuse, et la laissèrent presque morte.
Le général Turreau devint fou en 1814, il mourut dans cet état, le 15 décembre 1815.

Madame de Saint-L... (née Henriette de Lauraguais), vers 1810 ou 1813 environ, je ne sais par quelle circonstance, alla avec d'autres personnes visiter une maison qui était à vendre, appartenant au général Turreau ; elle était encore meublée. Ces dames, qu'on avait fait passer dans une espèce de grenier, aperçurent un coffre sur lequel il paraissait y avoir des caractères masqués par la poussière qui couvrait ce meuble depuis longtemps. Leur curiosité les porta à l'enlever, et, par la phrase qu'elles déchiffrèrent sur le dessus, ces sames virent qu'il était fait mention d'un enfant que le général Turreau disait devoir regretter toujours, et qui se trouvait dans ce coffre délaissé dans un grenier. C'était la tombe d'un enfant chéri de ce général sensible, qui ordonna la mort des femmes qui avaient aussi des enfants... qu'on sabrait dans leur bras..."

Source : Comtesse de La Bouëre, La Vendée angevine 1793-1796, Souvenirs de la Guerre de la Vendée, éd. du Bocage, 1994, pp.130 à 135.