samedi 28 juillet 2012

Un portrait de Philippe-Égalité (1747-1793).

"En janvier 1792 les Jacobins, dans leur majorité, imaginaient difficilement le France en république. Le maintien de Louis XVI sur le trône se révélait impossible, car, de toute évidence le roi, sûr de son bon droit, de l'honnêteté de ses intentions, répugnait à de profondes réformes et tenterait de s'y opposer, d'où l'intérêt d'une solution s'inspirant du précédent anglais de 1688. Pourquoi ne pas "récompenser le civisme de M. d'Orléans" ? L'orléanisme correspondait aux vœux de la plupart des révolutionnaires de 1792, qui rêvaient d'une monarchie dont le souverain serait choisi par la nation. Louis-Philippe se flattera de répondre à ce désir en 1830. Les amis les plus bienveillants de Philippe-Égalité, Mme Elliot et Lord Holland le dépeignent "submergé par les événements, incapable d'en prendre les rênes et dominé par une faction d'arrivistes, [Pierre Choderlos de] Laclos, Merlin (de Douai), Sillery, qui se servaient de sa rancoeur contre la cour pour en faire un prétendant au trône".

Attribué à Aleksandre Kucharski (1741-1819), Monsieur Choderlos de Laclos (1741-1803), pastel sur papier, Musée de l'hôtel de Berny, Amiens.

En réalité il n'a ni l'étoffe d'un usurpateur ni simplement celle d'un chef, et sa personnalité se vérifiera trop falote pour réaliser les vastes desseins de ses partisans. Le visage blême il ira jusqu'à voter cette mort du roi dont, pour Raymond Poincarré, la France ne s'est jamais complètement remise, en débitant des platitudes : Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteraient par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort." Des cris d'indignation : "Oh ! l'horreur ! Oh ! le monstre !" seront poussés auxquels succédera un silence glacial. Méprisant, Robespierre laissera échapper de ses lèvres pincées : "Le malheureux, il n'était permis qu'à lui de se récuser et il n'a pas osé le faire !" Dans une tribune un plaisantin ironisera lourdement : "Heureusement que Louis nous laisse de tous ses parents celui qui peut le plus dégoûter de la royauté."

D'après sir Joshua Reynolds (1723-1792), portrait de Louis Philippe d'Orléans, duc de Chartres, puis duc d'Orléans, et enfin Philippe-Égalité, en uniforme de hussards, copie d'après un original disparu, vers 1779, huile sur toile, Musée Condé, Chantilly.

Trois semaines se passent et à une séance aux Jacobins, Égalité, par amour du peuple sans doute, se vantera de n'être que le fils du "défunt duc d'Orléans" - ce qui logiquement devrait lui enlever tous les droits à la couronne - mais du "cocher Lefranc", amant de sa mère, "cette moderne Messaline". Danton s'exclamera hors de lui : "Le misérable me donne mal au cœur", il y a de quoi ! Lors des massacres de septembre il est monté à la tribune, coiffé démagogiquement du bonnet rouge. En lisant la liste des votants, Louis XVI s'est borné à soupirer, chrétiennement résigné : "Je ne cherche aucun espoir, mais je suis affligé de ce que M. d'Orléans, mon parent, a voté ma mort." Pouvait-on en moins de mots et en termes aussi bénins prononcer plus terrible, plus définitif réquisitoire ? La tache de sang de Macbeth ne s'effacera pas.
En redingote gris-violet, point déguisé, Philippe, dissimulé dans un cabriolet au coin de la rue des Champs-Élysées, actuellement Boissy-d'Anglas, assistera à une cinquantaine pas à l'exécution de son cousin. A-t-on bu le soir au Raincy ou à Mousseaux, au cours d'un grand dîner, "à la mort de Louis XVI et souhaité celle de chacun des rois d'Europe" ? Les ennemis d’Égalité l'ont prétendu, mais peut-on l'affirmer, et le mot du lendemain : "Le gros cochon a été saigné hier", est-il bien authentique ?
Quelles circonstances atténuantes le duc d'Orléans peut-il invoquer pour excuser son comportement ? Pourquoi ne s'est-il pas, au moins, abstenu lors du procès du roi ? Il se contentera de gémir devant Mme Elliott hors d'elle :"Vous ne pouvez pas me juger ; je ne pouvais éviter de faire ce que j'ai fait Je suis l'esclave d'une faction plus que personne en France - cela est vrai mais à qui la faute ? Je suis plus à plaindre que vous ne pouvez l'imaginer." Et une autre fois il reprendra : "Je ne m'appartiens pas, j'obéis à ce que qui m'entoure." Jusqu'à un certain point le comte d'Elgin, correspondant de Lord  Grenville, confirmera ces allégations en mandant au Secrétaire d’État au Foreign Office : "On sait avec avec certitude que, à différentes époques, depuis le commencement de la Révolution, le duc d'Orléans a désiré se retirer mais fut contraint de continuer."

Thomas Gainsborough (1727-1788), portrait de Grace Dalrymple Eliott (1754?-1823), vers 1778, The Frick Collection, New-York.

Informé, Louis-Philippe adressera une lettre "très dure", puis des reproches verbaux à son père qui, en pleurant, a confessé à Montpensier le soir du vote : "Je suis trop malheureux ! Je ne conçois pas comment j'ai pu être entraîné à faire ce que j'ai fait", aveu qui contraste avec le langage tenu à Mme Elliott.
A bien des égards le citoyen Égalité rappelle ce Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII, qui, notera Saint-Beuve, "poussé de même par ceux qui le gouvernaient compromettait ses amis et ensuite les plantait là, au péril de leur tête", avec cette différence toutefois que "Philippe se laissa compromettre par eux, au point d'y tout perdre, tête, cœur et vie. Gaston, plus avisé, n'y laissait en chemin que l'honneur". En quelques lignes le cardinal de Retz avait tracé le portrait définitif de cet exécrable prince, modèle du père de Louis-Philippe : "Il entra dans les affaires parce qu'il n'avait pas la force de résister à ceux qui l'y entraînaient et il en sortit toujours avec honte, parce qu'il n'avait pas le courage de les soutenir."

 Gaston d'Orléans (1608-1660), frère de Louis XIII (1601-1643).

Dernière manœuvre avant d'être exécuté - Les Dieux ont soif - Philippe jugera habile de mettre la Maçonnerie en sommeil : il veut donner de nouveaux gages, détourner les soupçons, montrer qu'il a renoncé à ses ambitions. Il ferme le Grand Orient, et le Journal de Paris, du 22 février 1793, publie sa lettre explicative : "Dans un temps où personne assurément ne prévoyait une autre Révolution, je m'étais attaché à la Franc-Maçonnerie, qui offrait une certaine image de l'égalité, comme je m'étais attaché au Parlement qui offrait une sorte d'image de la liberté. J'ai depuis quitté le fantôme pour la liberté." Vraiment ! En quoi consiste donc cette prétendue réalité qu'il invoque, sans conviction ?"

Source : Jean-Paul Garnier, Le Drapeau Blanc, éd. Librairie Académique Perrin, 1971, pp.68-71.

samedi 21 juillet 2012

Le 27 avril 1789, l'affaire Réveillon.



"L'action se développe.
Renvoyant Du Crest, Philippe [d'Orléans, futur Philippe-Égalité (1747-1793)] le remplacera par La Touche et liera parti avec Adrien Duport moins en vue. Ce jeune conseiller au Parlement, discret, réservé, assemble, en le prélevant dans les diverses loges, une équipe de combat fort efficace, composée de douze, puis de trente membres. Elle se chargera d'organiser, à travers le pays, "une vaste complicité", de répandre mots d'ordre et brochures. Il en partira tant du Palais-Royal que de la maison Duport d'innombrables ballots, appelés à un grand retentissement. Pour disposer d'une presse favorable, on achètera les journalistes.

Portrait de Louis-Philippe Joseph, duc d'Orléans dit Philippe-Égalité, par William H. Craft (v.1740-v.1805), 1790, miniature en émail, Musée du Louvre, Paris (RF 30879, recto).

Par ailleurs, il était facile de provoquer des bagarres ; avec le chômage et le mauvais ravitaillement des provinces, Paris se remplissait d'ouvriers affamés, prêts à en venir aux mains. "Pour 100 louis, à l'estimation de Mirabeau, on pouvait avoir une belle émeute." M. Révillon [ou Réveillon], élu aux états généraux contre un candidat du duc d'Orléans, en fit l'expérience. La foule mit le feu, le 27 avril, à sa fabrique."

Source : Jean-Paul Garnier, Le Drapeau Blanc, éd. Librairie Académique Perrin, 1971, p.56

jeudi 19 juillet 2012

Livre : Pierre Lafue, "Louis XVIII".

Pierre Lafue, Louis XVIII, éd. France-Empire, 2012 (première édition 1944).
I.S.B.N. : 978-2-7048-1148-9

Note : * * * * *

Commentaire : Les éditions France-Empire proposent la réédition de nombreux livres déjà parus et qui devenaient rares. Cette initiative permet de (re)découvrir, notamment, cette biographie sur le frère cadet de Louis XVI. Cette œuvre de Pierre Lafue (1895-1978) raconte les différentes périodes traversées, depuis le règne de Louis XV jusqu'à sa mort en 1824, par ce monarque moderne qui offrit la liberté individuelle, la liberté religieuse, et la liberté de la presse. La Charte, proposée en 1814, et son règne démontrent son engagement humain et politique pour prendre sur lui les quelques erreurs commises par certains Français et hommes d’État qui causèrent non seulement la ruine de la France mais aussi son possible démantèlement après la fin des Cent-Jours. Louis XVIII, Roi modéré, a voulu concilier les héritages révolutionnaires et napoléoniens avec ceux de l'Ancien Régime.

mercredi 11 juillet 2012

Versailles, des jardins aux châteaux de Trianon.

Réalisation : ALOEST Productions, François-Hugues de Vaumas et Xavier de Lauzanne, E.P.V. 2012, tous droits réservés.

Louis XVIII dans son cabinet de travail aux Tuileries, par François Gérard (1770-1837).

Huile sur toile. Hauteur : 2.710 m. Longueur : 3.170 m. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (C) RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot.

Corbière (1766-1853) mentionne dans ses Souvenirs ce portrait de Louis XVIII (1755-1824) méditant la Charte. Il précise : "C'est celui où Gérard a le mieux saisi son regard." Il a sous les yeux, en écrivant cela, la gravure réalisée à partir de cette œuvre. Louis XVIII a souhaité que la modeste table en noyer qui l'avait accompagné dans son exil soit placé dans son cabinet des Tuileries. Elle avait l'avantage, pour le souverain impotent, de pouvoir être repoussée sans effort. Le roi offrit ce tableau à la comtesse du Cayla pour orner son château de Saint-Ouen.

 Le château de Saint-Ouen construit, à l'italienne, par l'architecte Jean-Jacques-Marie Huvé (1783-1852). Louis XVIII l'offrit à la comtesse du Cayla qui y tint une grande fête en 1823.

Source : Comte de Corbière, Souvenirs de la Restauration, éd. Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2012, p.I.

mardi 10 juillet 2012

Une scène qui se passe entre 1750 et 1752 : François Quesnay (1694-1774) et la poudre de perlimpinpin.

 Portrait de François Quesnay réalisé par Jean-Charles François d'après une peinture de Jean-Martial Frédou.

"Le roi [Louis XV] sortit pour aller à la figuerie avec Madame [de Pompadour], et bientôt après entra Quesnay, ensuite M. de Marigny. Je parlai avec mépris de quelqu'un qui aimait beaucoup l'argent, et le docteur, s'étant mis à rire, dit : "J'ai fait un drôle de rêve cette nuit. J'étais dans le pays des anciens Germains ; ma maison était vaste, et j'avais des tas de blé, des bestiaux, des chevaux en grand nombre, et de grands tonneaux pleins de cervoise ; mais je souffrais d'un rhumatisme, et ne savais comment faire pour aller à cinquante lieues de là, à une fontaine dont l'eau me guérirait. Il fallait passer chez un peuple étranger. Un enchanteur apparut, et me dit : "Je suis touché de ton embarras : tiens voilà un petit paquet de poudre de perlimpinpin ; tous ceux à qui tu en donneras te logeront, te nourriront, et te feront toutes sortes de politesses." Je pris la poudre et je le remerciai bien. - Ah comme j'aimerais la poudre de perlimpinpin ! lui dis-je ; j'en voudrais avoir plein mon armoire. - Eh bien ! dit le docteur, cette poudre, c'est l'argent que vous méprisez. Dites-moi, de tous ceux qui viennent ici, quel est celui qui fait le plus d'effet ? - Je n'en sais rien, lui dis-je. - Eh bien ! c'est M. de Montmartel, qui vient quatre ou cinq fois l'an. - Pourquoi est-il considéré ? - Parce qu'il a des coffres pleins de poudre de perlimpinpin." Il tira quatre louis de sa poche : "Tout ce qui existe est renfermé dans ces quatre pièces, qui peuvent vous conduire commodément au bout du monde. Tous les hommes obéissent à ceux qui ont cette poudre, et s'empressant de les servir. C'est mépriser le bonheur, la liberté, les jouissances de tout genre, que mépriser l'argent."

 Portrait de Madame de Pompadour, par François Boucher (1703-1764), 1756, huile sur toile, Musée de Munich, Alte Pinakothek.

Un cordon bleu [un chevalier de l'ordre du Saint-Esprit] passa sous les fenêtres, et je dis : "Ce seigneur est bien plus content de son cordon que de mille et mille de vos pièces. - Quand je demande au roi une pension, reprit Quesnay, c'est comme si je lui disais : "Donnez-moi un moyen d'avoir un meilleur dîner, d'avoir un habit bien chaud, une voiture pour me garantir de la pluie et me transporter sans fatigue." Mais celui qui lui demande ce beau ruban, s'il osait dire ce qu'il pense, dirait : "J'ai de la vanité, et je voudrais bien, quand je passe, voir le peuple me regarder d'un œil bêtement admirateur, se ranger devant moi ; je voudrais bien, quand j'entre dans une chambre, produire un effet, et fixer l'attention des gens qui se moqueront peut-être de moi à mon départ ; je voudrais bien être appelé monseigneur par la multitude." Tout cela n'est-il pas du vent ? Ce ruban ne lui servira de rien dans presque tous le pays ; il ne lui donne aucune puissance ; mais mes pièces me donnent partout les moyens de secourir les malheureux. Vive la toute-puissance poudre de perlimpinpin !"
A ces derniers mots, on entendit rire aux éclats dans la pièce d'à-côté, qui n'était séparé que par une portière. La porte était ouverte, le roi entra avec Madame et M. de Gontaut. Il dit : "Vive la poudre de perlimpinpin ! Docteur, pourriez-vous m'en procurer ." Le roi était rentré, et il lui avait pris fantaisie d'écouter ce que l'on se disait. Madame fit de grandes amitiés au docteur ; et le roi, riant et parlant de la poudre avec éloge, sortit.

Portrait de Louis XV en buste (1710-1774), par Quentin de La Tour (1704-1788), 1748, Musée du Louvre.

Je m'en allai, et le docteur aussi. Je me mis à écrire aussitôt cette conversation. On me dit depuis que M. Quesnay était fort instruit de certaines choses qui ont rapport aux finances, et qu'il était un grand économiste ; mais je ne sais pas trop ce que c'est. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il avait beaucoup d'esprit ; il était fort gai et fort plaisant, et très habile médecin."

Source : Mémoires sur Louis XV et Madame de Pompadour, par Madame de Hausset, éd. Mercure de France, coll. le Temps retrouvé, (1985) 2002, pp.38-40.