samedi 24 novembre 2012

Un épisode du soulèvement de la duchesse de Berry en 1832.

Élisabeth Vigée-Lebrun (1755–1842), La duchesse de Berry en robe de velours bleu, peinture présentée au Salon de 1824, Huile sur toile, 91 x 71 cm.

"Mentionnons pour mémoire l'affaire de la Pénissière, le 5 juin peu importante pour elle-même, mais célèbre chez les royalistes. Dans ce manoir de la commune de Cugnand, près de Clisson, 45 royalistes commandés par Eugène de Girardin résistèrent de 11h à 9h du soir à la garnison [philippiste] de Clisson, soit trois compagnies (deux du 29e de ligne, une de la garde nationale). A la fin, les soldats mirent le feu au manoir ; les royalistes continuaient à combattre encouragés par deux clairons. Menacés d'asphyxie, Girardin fit une sortie et traversa les lignes avec le minimum de pertes. Huit d'entre eux étaient restés dans le manoir pour les couvrir, quand les planchers et les poutres enflammées s'écroulèrent sur eux de telle façon qu'ils ne furent pas brûlés. Les soldats croyant que tout le monde avait péri, abandonnèrent la lutte, ce qui sauva les royalistes."

Source : Hugues de Changy, Le soulèvement de la duchesse de Berry 1832, éd. D.U.C.-Albatros, Paris, 1986, p.200.

mardi 13 novembre 2012

Charte constitutionnelle donnée par le Roi, le 4 juin 1814.


Exemplaire signé par Louis XVIII
Coffret en cuir
© Bibliothèque de l'Assemblée nationale

La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume, nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du roi, ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps ; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse. Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le voeu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel ; mais en cédant à ce voeu, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'État, se sont réunis à des commissions de notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage. En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit, la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois s'accorde librement avec le voeu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même. Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes. Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages, qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le voeu le plus cher à notre coeur, c'est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui. Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l'Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations. A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit :
Droit public des Français
Article premier. - Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.
Article 2. - Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'État.
Article 3. - Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.
Article 4. - Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.
Article 5. - Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.
Article 6. - Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État.
Article 7. - Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitements du Trésor royal.
Article 8. - Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté.
Article 9. - Toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles.
Article 10. - L'État peut exiger le sacrifice d'une propriété, pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable.
Article 11. - Toutes recherches des opinions et votes émis jusqu'à la restauration sont interdites. Le même oubli est commandé aux tribunaux et aux citoyens.
Article 12. - La conscription est abolie. Le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer est déterminé par une loi.
Formes du gouvernement du roi
Article 13. - La personne du roi est inviolable et sacrée. Ses ministres sont responsables. Au roi seul appartient la puissance exécutive.
Article 14. - Le roi est le chef suprême de l'État, il commande les forces de terre et de mer, déclare la guerre, fait les traités de paix, d'alliance et de commerce, nomme à tous les emplois d'administration publique, et fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de l'État.
Article 15. - La puissance législative s'exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements.
Article 16. - Le roi propose la loi.
Article 17. - La proposition de la loi est portée, au gré du roi, à la Chambre des pairs ou à celle des députés, excepté la loi de l'impôt, qui doit être adressée d'abord à la Chambre des députés.
Article 18. - Toute la loi doit être discutée et votée librement par la majorité de chacune des deux chambres.
Article 19. - Les chambres ont la faculté de supplier le roi de proposer une loi sur quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce qu'il leur paraît convenable que la loi contienne.
Article 20. - Cette demande pourra être faite par chacune des deux chambres, mais après avoir été discutée en comité secret : elle ne sera envoyée à l'autre Chambre par celle qui l'aura proposée, qu'après un délai de dix jours.
Article 21. - Si la proposition est adoptée par l'autre Chambre, elle sera mise sous les yeux du roi ; si elle est rejetée, elle ne pourra être représentée dans la même session.
Article 22. - Le roi seul sanctionne et promulgue les lois.
Article 23. - La liste civile est fixée pour toute la durée du règne, par la première législature assemblée depuis l'avènement du roi. 

Œuvre du peintre Auguste VINCHON (1789-1865) qui représente le Roi Louis XVIII, présidant l’ouverture de la session des Chambres, le 4 juin 1814, en présence du duc d’Orléans (futur roi Louis-Philippe), du duc d’Angoulême, du duc de Berry, du prince de Talleyrand, des membres de la famille royale, des notables et pairs de France. Huile sur toile, conservée dans son cadre d’origine en bois doré. Étude préparatoire pour le grand tableau réalisé par l’artiste en 1838, à la demande du roi Louis-Philippe, pour figurer dans la Galerie de l’Histoire de France au château de Versailles et mis en place en 1842 (A vue : H. : 45 cm L. : 64 cm. Cadre : H. : 70 cm L. : 90 cm).
 
De la Chambre des pairs
Article 24. - La Chambre des pairs est une portion essentielle de la puissance législative.
Article 25. - Elle est convoquée par le roi en même temps que la Chambre des députés des départements. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre.
Article 26. - Toute assemblée de la Chambre des pairs qui serait tenue hors du temps de la session de la Chambre des députés, ou qui ne serait pas ordonnée par le roi, est illicite et nulle de plein droit.
Article 27. - La nomination des pairs de France appartient au roi. Leur nombre est illimité ; il peut en varier les dignités, les nommer à vie ou les rendre héréditaires, selon sa volonté.
Article 28. - Les pairs ont entrée dans la Chambre à vingt-cinq ans, et voix délibérative à trente ans seulement.
Article 29. - La Chambre des pairs est présidée par le chancelier de France, et, en son absence, par un pair nommé par le roi.
Article 30. - Les membres de la famille royale et les princes du sang sont pairs par le droit de leur naissance. Ils siègent immédiatement après le président ; mais ils n'ont voix délibérative qu'à vingt-cinq ans.
Article 31. - Les princes ne peuvent prendre séance à la Chambre que de l'ordre du roi, exprimé pour chaque session par un message, à peine de nullité de tout ce qui aurait été fait en leur présence.
Article 32. - Toutes les délibérations de la Chambre des pairs sont secrètes.
Article 33. - La Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi.
Article 34. - Aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle.
De la Chambre des députés des départements
Article 35. - La Chambre des députés sera composée des députés par les collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des lois.
Article 36. - Chaque département aura le même nombre de députés qu'il a eu jusqu'à présent.
Article 37. - Les députés seront élus pour cinq ans, et de manière que la Chambre soit renouvelée chaque année par cinquième.
Article 38. - Aucun député ne peut être admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de quarante ans, et s'il ne paie une contribution directe de mille francs.
Article 39. - Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département cinquante personnes de l'âge indiqué, payant au moins mille francs de contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés au-dessous de mille francs, et ceux-ci pourront être élus concurremment avec les premiers.
Article 40. - Les électeurs qui concourent à la nomination des députés, ne peuvent avoir droit de suffrage s'ils ne paient une contribution directe de trois cent francs, et s'ils ont moins de trente ans.
Article 41. - Les présidents des collèges électoraux seront nommés par le roi et de droit membres du collège.
Article 42. - La moitié au moins des députés sera choisie parmi les éligibles qui ont leur domicile politique dans le département.
Article 43. - Le président de la Chambre des députés est nommé par le roi, sur une liste de cinq membres présentée par la Chambre.
Article 44. - Les séances de la Chambre sont publiques ; mais la demande de cinq membres suffit pour qu'elle se forme en comité secret.
Article 45. - La Chambre se partage en deux bureaux pour discuter les projets qui lui ont été présentés de la part du roi.
Article 46. - Aucun amendement ne peut être fait à une loi, s'il n'a été proposé ou consenti par le roi, et s'il n'a été renvoyé et discuté dans les bureaux.
Article 47. - La Chambre des députés reçoit toutes les propositions d'impôts ; ce n'est qu'après que ces propositions ont été admises, qu'elles peuvent être portées à la Chambre des pairs.
Article 48. - Aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s'il n'a été consenti par les deux Chambres et sanctionné par le roi.
Article 49. - L'impôt foncier n'est consenti que pour un an. Les impositions indirectes peuvent l'être pour plusieurs années.
Article 50. - Le roi convoque chaque année les deux Chambres ; il les proroge, et peut dissoudre celle des députés des départements ; mais, dans ce cas, il doit en convoquer une nouvelle dans le délai de trois mois.
Article 51. - Aucune contrainte par corps ne peut être exercée contre un membre de la Chambre, durant la session, et dans les six semaines qui l'auront précédée ou suivie.
Article 52. - Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis sa poursuite.
Article 53. - Toute pétition à l'une ou l'autre des Chambres ne peut être faite et présentée que par écrit. La loi interdit d'en apporter en personne et à la barre.
Des ministres
Article 54. - Les ministres peuvent être membres de la Chambre des pairs ou de la Chambre des députés. Ils ont en outre leur entrée dans l'une ou l'autre Chambre, et doivent être entendus quand ils le demandent.
Article 55. - La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la Chambre des pairs qui seule a celui de les juger.
Article 56. - Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits, et en détermineront la poursuite.
De l'ordre judiciaire
Article 57. - Toute justice émane du roi. Elle s'administre en son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue.
Article 58. - Les juges nommés par le roi sont inamovibles.
Article 59. - Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une loi. Article 60. - L'institution actuelle des juges de commerce est conservée.
Article 61. - La justice de paix est également conservée. Les juges de paix, quoique nommés par le roi, ne sont point inamovibles.
Article 62. - Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.
Article 63. - Il ne pourra en conséquence être créé de commissions et tribunaux extraordinaires. Ne sont pas comprises sous cette dénomination les juridictions prévôtales, si leur rétablissement est jugé nécessaire.
Article 64. - Les débats seront publics en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les moeurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.
Article 65. - L'institution des jurés est conservée. Les changements qu'une plus longue expérience ferait juger nécessaires, ne peuvent être effectués que par une loi.
Article 66. - La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne pourra pas être rétablie.
Article 67. - Le roi a le droit de faire grâce, et celui de commuer les peines.
Article 68. - Le Code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont pas contraires à la présente Charte, restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé. Droits particuliers garantis par l'État
Article 69. - Les militaires en activité de service, les officiers et soldats en retraite, les veuves, les officiers et soldats pensionnés, conserveront leurs grades, honneurs et pensions.
Article 70. - La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable.
Article 71. - La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle conserve les siens. Le roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur accorde que des rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société.
Article 72. - La Légion d'honneur est maintenue. Le roi déterminera les règlements intérieurs et la décoration.
Article 73. - Les colonies sont régies par des lois et des règlements particuliers.
Article 74. - Le roi et ses successeurs jureront, dans la solennité de leur sacre, d'observer fidèlement la présente Charte constitutionnelle.
Articles transitoires
Article 75. - Les députés des départements de France qui siégeaient au Corps législatif lors du dernier ajournement, continueront de siéger à la Chambre des députés jusqu'à remplacement.
Article 76. - Le premier renouvellement d'un cinquième de la Chambre des députés aura lieu au plus tard en l'année 1816, suivant l'ordre établi entre les séries.

Portrait en buste de Louis XVIII, Huile sur toile, école française du XIXe Siècle, H : 72 cm L : 56 cm.

© Assemblée nationale
Sources : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/constitutions/charte-constitutionnelle-1814.asp
http://www.paristribune.info/Les-frissons-de-la-foule-pour-la-vente-Coutau-Begarie-sur-des-souvenirs-historiques_a6811.html

Louis-Philippe d'Orléans, Lieutenant général du royaume, et l'exil du Roi Charles X.

"La retraite vers les provinces fidèles était la dernière carte de Charles X. Depuis la signature des Ordonnances dont la constitutionnalité ne faisait pour lui aucun doute, car fondées sur l'article 14 de la Charte, le roi avait laissé passer toutes les occasions de sortir vainqueur de l'insurrection parisienne. Tant que les troupes se trouvaient à Paris, Charles X était en position de force pour négocier. Le 30 juillet, les troupes avaient évacué Paris, mais elles isolaient la capitale et les renforts en provenance du camp de Saint-Omer et de Lunéville étaient en marche. L'armée restait fidèle dans les départements, et, à Saint-Cloud, Charles X était entouré de douze mille hommes de sa Garde. Mais le roi répugnait aux solutions de force : après l'échec de la mission du duc de Mortemart, il se retira sur Versailles le 31 juillet, puis à Rambouillet le 1er août. Charles X voulait sans doute, en s'éloignant de Paris, apaiser les esprits et montrer sa volonté de conciliation.

Horace Vernet (1789–1863), Portrait de Charles X (1757-1836) Roi de France et de Navarre, huile sur toile.

Ces retraits successifs furent interprétés par les insurgés comme un aveu de faiblesse. Ils permirent à l'intrigue orléaniste de se développer tout à son aise. L'exemple de l'Angleterre entraînait tous les esprits : depuis janvier 1830, Thiers et Mignet faisaient, dans le National l'apologie de la révolution anglaise de 1688 ; une proclamation, appelant le duc d'Orléans au trône, et rédigée par Thiers, avait paru le 30 juillet dans les organes de l'opposition, le Courrier, le Commerce et le National. Le même jour, les députés de l'opposition libérale, effrayés par la république, poussé par Lafitte, Odilon Barrot, Casimir Périer, offrirent au duc d'Orléans les fonctions de Lieutenant général du royaume. Et pourtant, dès le 31 juillet, le duc d'Orléans montrait qu'il ne s'en satisferait pas, qu'il visait la couronne.
Charles X allait tenir lui-même l'étrier pour son cousin. Dans la nuit du 1er août, à Rambouillet, le roi se résigna à abdiquer. Il entérina d'abord la nomination du duc d'Orléans, lieutenant général du royaume :

"Le Roi, voulant mettre fin aux troubles qui existent dans la capitale et dans une partie de la France, comptant d'ailleurs sur le sincère attachement de son cousin le Duc d'Orléans, le nomme lieutenant général du royaume.
Le Roi, ayant jugé convenable de retirer ces ordonnances du 25 juillet, approuve que les Chambres se réunissent le 3 août, et il veut espérer qu'elles rétabliront la tranquillité en France...
Fait à Rambouillet, le 1er août 1830.
Charles".

Horace Vernet (1789-1863), Louis-Philippe, duc d’Orléans, nommé lieutenant général du royaume, quitte à cheval le Palais Royal Pour se rendre à l’hôtel de ville de Paris, le 31 juillet 1830, 1832. Huile sur toile - 215 x 261 cm.Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon. Photo : RMN (Château de Versailles) / Gérard Blot.


L'acte d'abdication proprement dit était contenu dans une lettre de Charles X au duc d'Orléans :

"Mon cousin,
Je suis trop profondément pénétré des maux qui affligent et pourraient menacer mes peuples pour n'avoir pas cherché un moyen de les prévenir. J'ai donc pris la résolution d'abdiquer la couronne en faveur de mon petit-fils le duc de Bordeaux.
Le Dauphin qui partage mes sentiments, renonce lui-aussi à ses droits en faveur de son neveu.
Vous aurez, en votre qualité de lieutenant général du royaume à faire proclamer l'avènement de Henri V à la couronne. Vous prendrez d'ailleurs toutes les mesures qui vous concernent pour régler les formes du nouveau gouvernement pendant la minorité du nouveau roi...
Vous communiquerez mes intentions au corps diplomatique et vous ferez connaître le plus tôt possible la proclamtion par laquelle mon petit-fils sera reconnu sous le nom de Henri V...
Signé : Charles, Louis-Antoine".

Lorsque le duc d'Orléans recevra ces deux lettres des mains du général de Latour-Foissac, le sort de la royauté légitime en France allait se décider. En acceptant une passation de pouvoir régulière, l'abdication de Charles X, la reconnaissance par les Chambres de l'avènement d'Henri V, et la régence du duc d'Orléans, la légitimité dynastique était respectée. Le choix du duc d'Orléans, le 2 août, de fonder une royauté nouvelle posa la première pierre du parti légitimiste.
En droit monarchique, rien n'autorisait le duc d'Orléans à porter la couronne ; il violait l'ordre de succession au trône de France établi selon les anciennes lois fondamentales et reconnu par la Charte. Sa position légitime et légale en tant que lieutenant général du royaume, perdait ces caractères en s'attribuant la royauté auxquels s'ajoutait le malaise de la situation. Le duc d'Orléans se retranchait derrière la nécessité, son principal argument avec la peur de l'anarchie, état provisoire qui ne pourrait fonder un pouvoir durable. La Monarchie de Juillet est né d'une occasion, une circonstance entraînera sa disparition.
Louis-Philippe d'Orléans allait très vite lever le masque. Il refusa d'abord d'accepter le duc de Bordeaux ; puis le 3 août, devant les restes de la Chambre des députés et de la pairie réunies1, le lieutenant général du royaume prononça un discours où il mentionna les abdications de Charles X et du duc d'Angoulême, mais ne dit mot des droits du duc de Bordeaux. La présence de la famille royale à Rambouillet entourée d'une garde encore nombreuse et fidèle pouvait être un obstacle, on lança l'émeute parisienne sur Rambouillet et l'intimidation qui avait si souvent réussi avec Louis XVI, triompha encore avec Charles X. Il ne restait plus pour la branche aînée que la route de l'exil."

1. Sur 430 députés, 240 seulement étaient présents ; il y avait soixante pairs sur 364 (A. Nettement, Histoire de la Restauration, 1860-1868, Tome 8, p.713)


Source : Hugues de Changy, Le soulèvement de la duchesse de Berry 1832, éd. D.U.C.-Albatros, Paris, 1986, p.17-20.