mardi 25 décembre 2012

La noblesse vue par le marquis de La Maisonfort (1763-1827).

"La noblesse n'était jalouse que des grands, que de la cour, elle regardait dans les nuages et ne voyait pas au-dessous d'elle l'hydre qui allait la dévorer."

Source : Marquis de La Maisonfort, Mémoires d'un agent royaliste, éd. Mercure de France, 1998, p.79.

La mort du maréchal de Richelieu, par le marquis de La Maisonfort (1763-1827).

Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1696-1788), par Louis-Charles-Auguste Couder (1790-1873), 1835, huile sur toile, 2,18 × 1,42 m, Château de Versailles en dépôt à la Préfecture d'Aquitaine à Bordeaux.

"Le Maréchal de Richelieu était mort depuis peu. Ce vieillard, à qui il a appartenu de prolonger sous le règne de Louis XV l'éclat du règne de Louis Louis XIV, et de faire se donner la main à ces deux époques, venait de terminer sa brillante carrière. Il n'en restait plus de sa trempe, de son temps, que le maréchal de Biron. Il mourut le 6 décembre 1788 et sa mort fut une calamité. Le respect qu'il inspirait, la confiance qu'on avait en lui resserraient les liens de la subordination dans un corps auquel la police de Paris était souvent confiée. Il régnait dans son régiment des gardes françaises et par lui imposait à tout Paris. Son enterrement fut magnifique. Les gens sensés, et qui voyaient l'orage gronder sur les têtes, le regrettèrent. C'était le dernier des Romains. Il emportait avec lui cette dignité chevaleresque dont tous nos grands seigneurs s'étaient laissé dépouiller. Après lui, la cour de l'infortuné Louis XVI resta composée d'agioteurs, de spéculateurs et de semi-philosophes élevés à l'école des Diderot, des d'Alembert, des Voltaire et prêts, au premier choc, à tomber du haut de leurs piédestaux vermoulus."

Source : Marquis de La Maisonfort, Mémoires d'un agent royaliste, éd. Mercure de France, 1998, p.69.

Portrait de M. Necker (1732-1804), de sa femme, de sa fille et de leur cour par le marquis de La Maisonfort (1763-1827).

 Jacques Necker (1732-1804), par Joseph Siffred Duplessis (1725-1802), fin XVIIIe siècle, Château de Versailles.

"Si la vanité des magistrats, qui se crurent appelés à jouer un grand rôle, échauffa considérablement ce pauvre peuple qui n'en pouvait et qui songeait qu'à être tranquille, celui d'un étranger vint achever de souffler sur tant de matières combustibles. Cet homme qui devait enfanter un amour-propre encore plus irascible peut-être que le sien, mais cependant moins dangereux, M. Necker, sous le prétexte de l'amour du bien public, pour appeler l'attention sur lui, tavelait les faiblesses du gouvernement, les besoins de la France et la prétendue nécessité d'un autre ordre de choses. Réparer le mal ne produisait pas assez d'éclat. On voulait rebâtir et pour édifier un monument politique, il fallait abattre. Non seulement, M. Necker était un financier habile et un prétentieux écrivain, mais la puissance des coteries l'avait fait ministre. Il avait de la fortune, une bonne maison. Sa femme tenait son cercle avec cette adresse, cette pédanterie qui en imposent aux gens médiocres. Sa fille [Anne-Louise Germaine Necker, baronne de Staël (1766-1817)] attirait par son esprit. Tous ces moyens réunis vinrent à l'appui de ses ouvrages. L'engouement avait commencé, le fanatisme continua. On crut voir dans le salon de Mme Necker le péristyle du temple de la fortune. On voulait former une secte : les sectes se présentèrent en foule, les jeunes courtisans pour blâmer la cour, les savants pour avoir des places, les académiciens de l'argent, chacun pour son intérêt particulier, tous pour occuper au nom du prophète toutes les trompettes de la Renommées et se jeter dans toutes les avenues du pouvoir."

Source : Marquis de La Maisonfort, Mémoires d'un agent royaliste, éd. Mercure de France, 1998, p.65.

mercredi 19 décembre 2012

Une image de la prise de la Bastille.

Prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, huile sur toile au Musée Carnavalet avant 1907, n° d'inventaire : P.804 (0,570 m x 0,725 m).

" On pourrait multiplier les exemples, les références : on rappellera simplement le rôle décisif de l'école - celle de la IIIe et de la IVe Républiques. Présentée sous forme de tableaux destinés à constituer ce que Kundera a nommé une imagologie, l'histoire de France faisait une bonne place à la prise de la terrible prison. Au mur et dans le livre, l'image classique du peuple armé de piques auquel se sont joints les gardes-françaises qui tirent, à force d'homme, un canon. Au second plan, des bâtiments - habitations, remises - sont en flammes, et l'on abat à coups de haches les chaînes d'un pont-levis. Derrière, grise, ramassée sur elle-même comme une sale bête, la Bastille et ses tours empanachées de fumées, car la garnison tire sur la foule et le faubourg... Voilà. Qu'importe que le gouverneur ait de lui-même fait abaisser le pont-levis [- gouverneur qui a en fin de compte la tête tranchée au pied de la Bastille, après qu'on lui eut promis la vie sauve -], et que la garnison n'ait livrée qu'un semblant de résistance ! D'autres fois, c'est l'instant d'après qu'on représente : le malheureux qu'on extrait de son cachot. Que l'on fête... On a beau savoir qu'il n'y avait là qu'un violeur, qu'un assassin d'enfants, [...] qu'on porte en triomphe, l'image demeure."
Le marquis de Launay, Gouverneur de la Bastille, décapité le 14 juillet 1789 en la place de Grève, à Paris, pour avoir fait tirer sur le peuple après avoir arboré le drapeau blanc, Bibliothèque nationale de France à Paris, n° d'inventaire : QB-1 (1789-07-14)-FOLM98655.

Source : Préface d'Olivier Boura dans Simon-Henri-Nicolas Linguet, Mémoires sur la Bastille, éd. arléa, Paris, 2006, p.52.

dimanche 9 décembre 2012

Le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse légitimé par Louis XIV, vu par le comte Beugnot en 1785.

Jacques Claude, comte Beugnot (1761-1835), portrait daté de 1820, extrait de la Biographie pittoresque des députés, Paris, 1820.

"Quelques jours après, Mme de La Motte me propose de l'accompagner dans une visite qu'elle va faire à M. le duc de Penthièvre, qui se trouvait alors à Châteauvillain. [...] je lui fais observer que n'ayant aucun titre à être reçu du prince, ni rien à lui demander, je ne veux pas subir le dîner de son gentilhomme d'honneur, ni même le café de Son Altesse. Il faut que j'ajoute, pour l'intelligence de ce que je viens de dire, que, dans aucune des maisons des princes du sang, l'étiquette n'était plus scrupuleusement gardée que chez M. le duc de Penthièvre. Son humilité toute chrétienne ne dépassait pas le sanctuaire. Mme de Maintenon avait profondément inculqué au duc de du Maine qu'il devait être d'autant plus sévère à se faire rendre ce qui lui était dû comme prince du sang qu'il pourrait trouver disposés à se mettre à l'aise sur ce point ceux qui s'obstineraient à faire quelque différence entre un prince légitime et un prince légitimé.


Portrait de Louis Jean Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793), huile sur toile, 146 × 114 cm, localisation inconnue.

La tradition des leçons de la royale institutrice s'était gardée dans cette branche détournée de la famille de Louis XIV. Elle n'était pas encore perdue pour la vertueuse famille de M. le duc de Penthièvre, qui, facile dans le commerce de la vie, n'en affectait pas moins sur certains points des prétentions exagérées, sans vouloir reconnaître qu'elles n'étaient plus du tout de saison. Lorsqu'on se présentait à Châteauvillain, le matin, pour faire sa cour, on sollicitait cet honneur par un des gentilshommes du prince, et il était accordé pour le même jour, au sortir de la messe. Le prince accueillait avec une égale et douce bonté tous ceux qui lui étaient présentés.
Les nobles étaient invités à dîner avec lui, les autres chez son gentilhomme. MM. du Hausier et de Florian [l'auteur des Fables], qui en remplissaient tour à tour les fonctions, étaient deux modèles de la plus gracieuse urbanité. Après le dîner du premier gentilhomme, on proposait ou de prendre le café chez lui ou d'aller le prendre avec le prince. On passait au salon, où se trouvaient, en force et le ton haut, ceux qui avaient eu l'honneur de dîner avec Son Altesse. Ils ne manquaient pas de saluer les arrivants avec une complaisance pleine de protection. Il y en avait dans le nombre d'assez mal vêtus, d'autres qui ne paraissaient pas merveilleusement élevés ; mais déjà tous, dans la crainte d'être confondus avec des non-nobles, avaient ressaisi la vieille épée ou le couteau de chasse, car les deux ornements étaient également admis à la cour de Châteauvillain. Ensuite, M. de Penthièvre poussait les attentions jusqu'à la recherche pour les nouveaux venus. Cette figure d'une sérénité si touchante, le son de sa voix, le maintien, tout était en accord chez ce prince pour exprimer la plus haute et la plus aimable vertu. On y reconnaissait un dernier reste du temps de Louis XIV, qui nous avait, il est vrai, été transmis par les grâces, mais que la religion avait sanctifiée. On ne pouvait pas trop payer le plaisir de jouir, même pour quelques instants, de sa douce présence. Cependant, tout ce qui n'était pas noble ne se présentait à Châteauvillain que s'il dépendait du prince ou s'il avait quelque grâce à en solliciter. J'y avais été une fois dans ce dessein, non pas cependant pour un intérêt qui me fût personnel. Je ne pouvais assurément que me louer de la réception qui m'y avait été faite ; toutefois, je n'avais nul désir d'y retourner."

Source : Mémoires du comte Beugnot 1779-1815, éd. Hachette, 1959, p.65-66.