vendredi 27 décembre 2013

Edmund Burke (1729-1797) : "Les Français se sont fait connaître comme les plus habiles architectes de destruction qui aient jusqu'à présent existé dans le monde".

Edmund Burke, peint par Joshua Reynolds (1723-1792). Peinture conservée au National Portrait Gallery, à Londres.

"Les Français se sont fait connaître comme les plus habiles architectes de destruction qui aient jusqu'à présent existé dans le monde. Dans ce court espace de temps, ils ont complètement détruit jusqu'aux fondements  de leur Monarchie, leur Église, leur Noblesse, leurs Lois, leurs Revenus publics, leur Armée, leur Marine, leur Commerce, leurs Arts et leurs Manufactures : ils ont fait pour nous, en qualité de rivaux, ce que n'auraient pas pu faire vingt batailles de Ramilies ou de Bleinheim. Eussions-nous conquis la France, fût-elle abattue à nos pieds, nous devrions rougir qu'une commission anglaise, envoyée pour son gouvernement, imposât aux Français des lois aussi dures, aussi destructrices de leur importance nationale, que celles qu'ils se sont imposées eux-mêmes."

Source : Edmund Burke, Extrait du discours prononcé dans la Chambre des communes d'Angleterre le 9 février 1790, Paris, p.11-12, cité dans (sous la direction de) Jean Tulard, La contre-révolution, origines, Histoire, postérité, éd. Perrin, Paris, 1990, p.91.

Révolution française : les Parlementaires ont eux-mêmes scié la branche qui les soutenait.


Représentation du Lit de Justice tenu par Louis XVI le 6 août 1787 à Versailles, estampe d'Abraham Girardet (1764-1823)
(N° d'inventaire : invgravures888. H. : 26 cm ; L. : 33 cm. Châteaux de Versailles et de Trianon).

"Personnages ambitieux, infatués de leur puissance, riches financièrement, redoutés de tous, et pas seulement des plaideurs, nourrissant une sympathie non avouée pour les idées jansénistes, redoutables dialecticiens, connaissant parfaitement les lois et les coutumes, familiers de toutes les roueries offertes par la procédure judiciaire, ayant malheureusement tendance à abuser de leur savoir, de leurs qualités et du prestige dont ils jouissaient, les Parlementaires savaient se montrer perspicaces dès lors qu'il s'agissait de défendre leurs intérêts. Mais parce qu'ils étaient souvent gonflés de suffisance et surtout qu'ils étaient davantage des hommes du passé que des magistrats tournés vers l'avenir, ils n'ont pas compris la gravité de la crise dont la France souffrait en 1787. Leur orgueil hautain, leur intime conviction d'être les premiers de la Nation, en ont fait des aveugles. Et cependant, ces travailleurs méticuleux, ces hommes de robe, vaguement jaloux de la noblesse d'épée, sont à l'origine de la grande tradition dont la magistrature d'aujourd'hui a raison d'être fière.
La Révolution, que les Parlementaires ont tout bas appelée de leurs vœux, et à la naissance de laquelle ils ne furent pas étrangers, leur fut fatale. C'est que ces hauts magistrats n'ont pas compris qu'appartenant à une classe sociale privilégiée ils étaient, de ce fait même, liés à la monarchie qu'ils n'aimaient guère et à la société d'Ordres qu'ils ont cru éternelle. Les principes de la souveraineté nationale ne furent pas perçus par eux. Cet aveuglement ne leur permit pas de survivre au tourbillon révolutionnaire.

Louis XII, roi de France (1462-1515), lithographie de Ch. Villain (actif au 19e siècle) imprimeur lithographe
(N°d'inventaire : LP8.48.1. L. : 23.7 cm.châteaux de Versailles et de Trianon).

Louis XII proclamé "Père du Peuple" aux états généraux de Tours, 14 mai 1506, vers 1835, par
Jean-Louis Bézard  (1799-1881) d'après le peintre, Michel-Martin Drölling (1786-1851) (N° d'inventaire :
MV2272. H. : 400 cm ; L. : 715 cm. Châteaux de Versailles et de Trianon).


Victimes à la fois de leurs qualités et de leurs défauts, les Parlementaires ont commis une triple erreur :
  1. Ils eurent tort, sous les règnes de Louis XII et de François 1er, d'accepter de bénéficier du système de la vénalité des charges. Certes, ils purent ainsi constituer d'immenses fortunes. Devenus des magistrats comme les autres, ils perdirent une partie de la respectabilité et de la considération qui les entouraient du temps où ils étaient encore choisis par le roi ou cooptés par leurs pairs. Au fil des années, ils cessèrent, souvent à tort d'ailleurs, d'être parés du prestige dont ils avaient si longtemps joui et leur réputation d'indépendance s'estompa peu à peu.
  2. En 1604, poussés sans doute par un sentiment de caste qui témoigne de leur ambition, ils acceptèrent de bénéficier des dispositions offertes par l’Édit de la Paulette permettant, moyennant le versement d'une somme importante, d'acheter l'hérédité de leur charge. Ils n'apparaissent plus dorénavant comme les défenseurs de la nation, mais comme des juges préoccupés avant tout de sauvegarder leurs intérêts.
  3. Le 23 septembre 1788 pourquoi, après avoir affaibli le gouvernement royal en s'opposant systématiquement à toute réforme structurelle de l’État, refusent-ils brusquement de se prononcer en faveur du dédoublement du Tiers aux États Généraux de mai 1789 ? Sans doute est-ce par crainte de perdre les avantages dont ils jouissaient en tant que membres privilégiés d'une "société d'Ordres" ?Ils ont, ce jour-là, commis une faute que les hommes de la Révolution ne pouvaient ni ignorer, ni pardonner.
La disparition des Parlements se fit en quatre étapes :
  1. Le 3 novembre 1789, l'Assemblée Nationale Constituante décida de proroger indéfiniment les vacances parlementaires. Seule, demeura en fonction, provisoirement d'ailleurs, la Chambre des Vacations.
  2. Le 24 mars 1790, à l'étonnement d'un grand nombre de Parlementaires qui, aveuglément, n'avaient pas compris la portée de la mesure adoptée le 3 novembre 1789, le Parlement de Paris, ainsi que tous les Parlements de province, sont purement et simplement supprimés.
  3. La loi du 16 août 1790 réorganisant la justice ne fait nullement mention, dans le nouvel éventail des tribunaux français, de l'existence des Parlements. C'est une cruelle déception pour les magistrats qui s'obstinaient à espérer que les Parlements renaîtraient de leurs cendres.
  4. A l'automne 1790, le Chambre des vacations, dernier souvenir des défunts Parlements, disparut à son tour.
C'est ainsi qu'il fut mis fin à une des plus grandes institutions de la Monarchie française.

On ne peut oublier que les Parlementaires, ces hommes qui avaient tenu tête aux rois de France, qui avaient rêvé d'un grand destin, qui croyaient que leur puissance les mettrait à l'abri de tous les remous secouant la France, ont eu, pour nombre d'entre eux, une fin misérable. En 1793, l'épuration sanglante qui frappa les anciens magistrats ne les épargna pas.
Peut-on expliquer la brutalité avec laquelle disparut ce corps prestigieux dont on ne peut ignorer qu'il est à l'origine de la plupart des traditions qui font aujourd'hui l'honneur de la magistrature française, et dont le souvenir hante encore les grandes Cours de Justice de la République ?
Il semble bien que l'aveuglement des Parlementaires, né de leur esprit de caste et alimenté par un sentiment d'orgueil difficile à admettre, ait contribué à leur perte. Juges professionnellement irréprochables, mais politiquement travaillés par des courants divers, philosophiquement souvent, religieux parfois, ils ont eux-mêmes scié la branche qui les soutenait. Ils pouvaient participer au sauvetage de la Monarchie en l'aidant à se transformer dans un sens qui lui aurait permis de se réformer. Ils ont disparu pour ne point l'avoir fait. Il y a là une grande leçon à méditer."

Source : Aimé Bonnefin, La monarchie française (987-1789), constitution et lois fondamentales, éd.France-Empire, Paris, 1987, p.330-332.

mardi 24 décembre 2013

La personne du roi est inviolable et sacrée.


Proclamation de la Constitution, place du marché des Innocents, 14 septembre 1791, par Jean-Louis Prieur (1759-1795).
Dépôt du Département des arts graphiques du musée du Louvre conservé au musée Carnavalet à Paris
(H. : 22,5 cm ; L. : 28,2 cm. N° d'inventaire : RF6221 ; D7724. Encre noire, estompe, lavis gris, mine de plomb, pierre noire, pinceau , plume).

"L'idée mystique que le roi, de par sa fonction, son origine, sa religion et surtout de par l'auréole que le sacre lui conférait, devait être à l'abri de toute atteinte physique était si profondément ancrée dans l'esprit et sans doute dans les cœurs de tous le Français que les Constituants en firent mention dans la constitution du 3 septembre 1791. L'article 2 du chapitre II de cette constitution est ainsi rédigé : "La personne du roi est inviolable et sacrée.""

Source : Aimé Bonnefin, La monarchie français (987-1789), constitution et lois fondamentales, éd. France-Empire, Paris, 1987, p.251.

mercredi 18 décembre 2013

La monarchie française n'est pas patrimoniale, mais usufruitière.

""Les princes, disait Jean Bodin en 1576, ne sont qu'usufruitier, ou pour mieux dire, usagers du domaine public." Cette idée que le roi n'est pas propriétaire de la couronne remonte très avant dans le temps. Déjà Juvénal des Ursins (1388- 1473) le rappelait au roi Charles VII (1403-1461) dont il était le chancelier.
La monarchie française n'est pas patrimoniale, mais usufruitière, ce qui a pur conséquence première de faire de la royauté "une fonction" que le roi reçoit de Dieu et qu'en conséquence il est tenu d'assurer conformément aux engagements qu'il a contractés le jour de son sacre, en prononçant le serment "au peuple chrétien", c'est-à-dire "au peuple français", sans distinction de personnes, de classes ou d'ordres.
Toutefois, il existe entre l'usufruit tel que le conçoit le droit privé et l'usufruit royal une différence fondamentale qu'il convient de ne jamais perdre de vue. Alors que, pour les particuliers, la jouissance de l'usufruit s'éteint avec le décès du bénéficiaire, l'usufruit royal est intégralement et immédiatement transmissible à l'héritier d'un roi défunt... et cela en vertu de l'adage qui, à travers le temps et en dépit des retournements de l'histoire, assure la continuité de la vie de la nation française : "En France, le roi ne meurt pas.""

Source : Aimé Bonnefin, La monarchie française (987-1789), constitution et lois fondamentales, éd. France-Empire, Paris, 1987.

lundi 11 novembre 2013

Rapport de von Obenaus sur le Roi de Rome, fils de Napoléon et duc de Reichstadt (1811-1832).

Portrait du roi de Rome, réalisé par le baron Gérard (1770-1837), conservé au château de Fontainebleau (hauteur : 60 cm, longueur : 49 cm ; n° d'inventaire : F1987.4).

"Le duc brûle de se distinguer. Il est prompt dans ses résolutions et possède une confiance sans borne dans son habileté, comme dans son étoile. Son imagination franchit tous les obstacles, n'admet aucune impossibilité. Il est doué d'un talent tout particulier qui lui permet de lire dans l'esprit des autres et de se les gagner après les avoir séduits en feignant d'entrer dans leur vues. C'est ainsi qu'il excelle à abuser. Il marche vers son but avec une infatigable ardeur et croirait se déshonorer en faisant un seul pas en arrière. Il ne cède qu'à la dernière extrémité devant la force des choses. Cet ensemble de qualité met certainement le Prince en état d'accomplir, dans sa situation politique, quelque chose de rare, lorsque le temps et l'expression auront mûri son jugement et sa raison. Son esprit est trop bien doué et trop bien cultivé pour que le train régulier d'une vie de garnison suffise à l'occuper... Il est digne d'être l'héritier de la gloire éternelle."

Le duc de Reichstadt par Menconi Domenico Antonio Maria (1762- ?), buste en marbre blanc conservé au château de Fontainebleau (hauteur : 69,5 cm, longueur : 32 cm, profondeur : 28 cm ; n° d'inventaire : N3108.)

Source : Gilbert Martineau, Le Roi de Rome, éd. France-Empire, Paris,1982, p. 190-191.

lundi 28 octobre 2013

1789, 1830, 1848 : Des intérêts individuels ont fait le reste.


Portrait de Louis-Philippe d'Orléans, duc de Chartres (futur roi Louis-Philippe) à Reichenau, de Louis Charles Auguste Couder (1789-1873) d'après Franz Xaver Winterhalter (1806-1873). Huile sur toile conservée au musée Condé à Chantilly (n° d'inventaire PE491 ; H. 105 cm, L. 70 cm).

"Madame de Staël a raison, les grands mouvements populaires se font par un besoin de changement que dans leurs malaises éprouvent les nations.
Ces premiers mouvements, les intérêts individuels s'en emparent et conduisent toujours les nations au delà du but qu'elles voulaient atteindre.
Ainsi, les Parisiens en prenant la Bastille, en 1789, ne voulaient, certes, ni l'emprisonnement, ni le procès, ni la mort du roi Louis XVI.
Ainsi, les Parisiens en criant, vive la Charte ! en 1830, ne voulaient ni la chute de Charles X, ni l'appel au trône du duc d'Orléans.
Ainsi, les Parisiens en criant vive la Réforme ! en 1848, ne voulaient ni la chute du roi Louis-Philippe ni la République.
Ce qu'ils voulaient en 1789, c'était une constitution.
Ce qu'ils voulaient en 1830, c'était le retrait des ordonnances.
Ce qu'ils voulaient en 1848, c'était un changement de ministère, c'était la réforme électorale.
Des intérêts individuels ont fait le reste.
Après cela, notre avis, à nous, est que, comme la Providence ne peut opérer que par des moyens humains, ces intérêts individuels sont les moyens dont se sert la Providence."

Source : Alexandre Dumas, Histoire de la vie politique et privée de Louis-Philippe, éd. Olivier Orban, Paris, 1981, p.30.

samedi 17 août 2013

Louis-Philippe, le 29 avril 1825, rectifie la définition du congé.

Louis-Philippe et sa famille, château de Compiègne (H. : 32.8 cm, Longueur : 24.7 cm ; gravure sur bois, papier ; n° d'inventaire : C2006.0.117).

"On l'assimile à oisiveté et c'est une erreur fâcheuse, car on ne doit jamais être oisif et au contraire, on doit profiter du jour de congé pour faire ce qu'on n'a pas le temps de faire les autres jours."

Source : Anne Martin-Fugier, La vie quotidienne de Louis-Philippe et de sa famille, 1830-1848, éd. Hachette, 1992, p.187.

dimanche 19 mai 2013

Le sacrifice de don Juan, père de Juan Carlos, pour la réconcilation des adversaires de 1936 et pour la démocratie en Espagne.

 Le prince des Asturies Juan Carlos et son père don Juan, comte de Barcelone.

"Devant l'évidence des réalités tant intérieures qu'extérieures, don Juan ne pouvait que tirer les enseignements que lui dictait le leadership américain. Il ne s'agissait nullement d'un virage idéologique. Sa conception de la légitimité comme celle qu'il se faisait de la démocratie lui interdisaient toute compromission avec le régime franquiste. Mais le devoir d'un roi est de penser à l'avenir de la dynastie. Il lui faut voir loin pour voir juste. Là où les hommes politiques obéissent à une loi contingente qui efface leur action dès qu'ils ne sont plus en mesure de l'assumer, les souverains, héritiers d'une continuité immanente, gardiens d'un patrimoine qui ne leur appartient pas en propre, relèvent d'une autre loi qui les projette, s'ils sont nés, dans la perpétuation instinctive de l'Histoire. En cette matière, don Juan avait retenu la leçon de son père, de la même manière que Juan Carlos, au prix d'une messe franquiste qui vaudra bien un trône démocratique, apprendra tout du sien.
Ainsi la véritable histoire de l'actuel roi d'Espagne, loin de commencer avec son règne, puise-t-elle ses racines dans celui sacrifié de don Juan. Car nul n'aurait accordé durablement crédit au simple successeur royal de Franco si ce dernier n'avait été, aussi et surtout, investi de la légitimité à la fois dynastique et démocratique que le comte de Barcelone saura maintenir tout au long de son règne symbolique.

Le comte de Barcelone devant le portrait de son fils Juan Carlos, Roi d'Espagne.

Cette monarchie de l'ombre soudé dans une première réconciliation des adversaires de 1936 sera garante trois décennies plus tard d'une nouvelle réconciliation, exemplaire, de ces deux Espagnes, dont l'une, se désolait le poète Antonio Machado au cœur des années 1930, "glacerait toujours le cœur de l'autre"."

Source : Philippe Nourry, Juan Carlos, éd. Tallandier, Paris, 2011, p.94-95.

samedi 23 février 2013

La disparition de l'aîné d'une fatrie, de l'aîné des enfants du Roi Louis-Philippe et de la Reine Marie-Amélie : le duc d'Orléans (1810-1842).



Le duc d'Orléans (1810-1842), fils aîné du roi Louis-Philippe, d'après le moulage en plâtre du visage du défunt exécuté en 1842. Buste en bronze, fondu à la cire perdue, réalisé par Jean-Jacques dit James Pradier (1792-1852). Paris, musée du Louvre (Hauteur : 0,600 m ; Longueur : 0,580 m ; Profondeur : 0,285 m. N° d'inventaire : RF1721).
 
"Nous étions en pleine mer, tout aux devoirs du métier et à nos exercices quotidiens, lorsqu’on aperçoit au loin la fumée d’un bateau à vapeur ; bientôt il apparaît et se couvre de signaux adressés à l’amiral, qui ordonne à la flotte de mettre en panne. La mer étant belle, un officier se détache du vapeur, se rend à bord de l’Océan, et tout aussitôt nous voyons mettre à l’eau le canot de l’amiral qui s’y embarque et se dirige vers la Belle-Poule. Au milieu de l’étonnement général et des mille conjectures qu’inspire cet incident inusité, je reçois mon chef à la coupée. Il me saisit la main, la serre fortement, m’entraîne dans la chambre et me dit : « Votre frère le duc d’Orléans est mort, tué dans un accident de voiture. J’ai ordre de vous envoyer immédiatement à Paris. » Sa rude figure de vieux marin marquait une profonde émotion, mais que dire de ce que j’éprouvai devant ce coup terrible et si inattendu. Les grandes douleurs de ce monde sont les déchirements du cœur, mais ici la douleur était plus poignante, car je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une famille plus unie que la nôtre. Et non seulement je perdais le plus aimé des frères, mais le confident, le compagnon, le guide de toute ma vie. Je voyais, je sentais le désespoir de tous les miens, de mon père, de ma mère surtout, comme de mes frères et sœurs, à ce coup effroyable, et leur douleur venait encore s’ajouter à la mienne. Je restai un moment atterré, puis l’amiral me quitta, je remis le commandement à mon second, et une heure après, j’étais en route pour Toulon, lisant sur les visages mornes le sentiment qu’un malheur public était survenu et que la France venait de faire une grande perte.

Ferdinand Philippe, duc d'Orléans (1810-1842), représenté en uniforme de général de division, huile sur toile peinte en 1844 par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 2,180 m ; Longueur : 1,310 m. N° d'inventaire : MV5209).

La perte était immense, irréparable, en effet. Depuis dix ans, nous tous, et avec nous la France entière, considérions mon frère comme le chef, le chef de demain, le chef des grands jours à venir. Sans doute nous avions pour le Roi, pour le Père, comme nous l’appelions entre nous, la plus tendre affection, le plus entier dévouement, le plus profond respect, mais celui vers lequel nous nous tournions pour avoir une direction, c’était Chartres. Pas un de nous qui n’eut depuis l’enfance accepté sans hésitation ses conseils, son autorité.
Que de fois n’avions-nous pas discuté avec lui toutes les chances de l’avenir au dedans comme au dehors, et ne nous avait-il pas distribué à chacun les rôles qu’il nous destinait, rôles que nous sentions marqués au coin du bon sens, de la connaissance profonde des choses, et de cette griffe du chef qui s’impose. Ce que nous éprouvions vis-à-vis de lui, nous, ses frères, ses lieutenants, le pays l’éprouvait également. Aujourd’hui le Roi était sur la brèche et livrait chaque jour, avec son grand courage, la bataille de la vie, afin de conserver à la France la paix, le calme, la prospérité dont elle jouissait, et ceux que l’envie démocratique n’aveuglait pas l’en remerciaient. Mais le Roi vieillissait, les grands accidents pouvaient se produire, et, comme nous, tout le monde tournait les yeux avec confiance vers le chef jeune qui, sans se mêler aux luttes stériles de la politique terre à terre, se préparait sans relâche pour les grandes éventualités.

Les Ducs d'Orléans et de Nemours dans la tranchée au siège de la citadelle d'Anvers, 29/30 novembre 1832, huile sur toile peinte en 1836 par Jean Léonard Lugardon (1801-1884), d'après Roger Adolphe (1800-1880), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 1,180 m ; Longueur : 0,880 m. N° d'inventaire : MV1824).

Aussi bien-pour tous que pour nous, le chef de demain était, je le répète, le duc d’Orléans. On lui savait gré de l’attention de tous les instants qu’il apportait à la bonne organisation, au perfectionnement de nos forces militaires du soin avec lequel il allait chercher dans leurs rangs, sans ombre de favoritisme et sans distinction de naissance, les hommes les plus méritants, les Lamoricière, les Cavaignac, les Canrobert, les Mac-Mahon, pour les pousser au premier rang. C’était pour demain. De même dans le civil, s’il tendait la main, non pas aux incorrigibles révolutionnaires, mais aux hommes d’opinions avancées, qui faisaient de l’opposition au gouvernement du Roi, c’était aussi pour demain, pour pouvoir à l’heure des dangers de la patrie, servir de trait d’union patriotique à toutes les forces vives de la nation. Hélas ! le sentiment général, le nôtre comme celui de' la grande majorité des hommes qui songent, fut que le lien qui aurait pu réunir en faisceau ces forces, soit contre la révolution débordante au dedans, soit contre l’ennemi au dehors, venait de se briser. La mort détruisait une succession anticipée, acceptée de tous, et le principal soutien de la monarchie de Juillet. Désormais le-navire allait errer sans chef, sans but, sans boussole, exposé à tous les orages. Les hommes comme les principes faisant défaut à la fois, nous retombions dans les gouvernements éphémères. Les événements n’ont que trop justifié les tristes pressentiments.
Comme homme, mon frère aîné était grand et d’une taille élancée, exceptionnellement élégante. A cheval, en uniforme, c’était un superbe cavalier et sa prestance militaire plaisait également au soldat et à la foule. Brave ! Il l’était jusqu’à la témérité ; autre cause de popularité auprès des foules. On savait qu’en Afrique, devant Mascara, il avait été blessé en se jetant hardiment à un moment critique au milieu des tirailleurs. On savait qu’au col de Mouzaïa, quand toute l’armée portait un képi couvert d’une toile cirée noire, il avait voulu, seul, rester coiffé d’un képi rouge éclatant qui le désignait à tous comme chef, mais qui le désignait aussi, et avec lui ses voisins, aux balles de l’ennemi. A la séduction de la bravoure, mon frère joignait encore celle de la parole, de cette musique de mots à laquelle les hommes et surtout les Français sont si sensibles, et il y joignait une autre vertu non moins séductrice, surtout chez un prince : il savait écouter. Écouter a même été une de ses qualités maîtresses, car entouré comme il l’était toujours d’hommes éminents de tous pays, il s’assimilait avec une merveilleuse facilité et une mémoire admirable, non seulement les idées fécondes qu’il découvrait dans leurs conversations, mais jusqu’aux paroles qui avaient saisi son imagination. De ces paroles, comme de celles qui sortaient de son esprit cultivé, si français, et de son cœur, il savait faire un merveilleux usage.
[…]

Portrait en pied du duc de Chartres (1810-1842), portrait du futur duc d'Orléans en uniforme de colonel des hussards, huile sur toile par Ary Scheffer (1795-1858), conservée à Chantilly, musée Condé (Hauteur : 0,640 m ; Longueur : 0,430 m. N° d'inventaire : PE446).

C’était un charmeur, charmeur de soldats, charmeur d’artistes, qui trouvaient chez lui encouragement et protection ; charmeur aussi de femmes. Mais ici je touche un point délicat, où le secret inviolable et plus que le secret m’arrêtent. Le vieux baron James de Rothschild disait sur ses vieux jours qu’il était encore à connaître la femme qui lui résisterait. Je crois qu’il se vantait un peu ; je crois aussi que s’il ne l’avait pas connue, il finit par la rencontrer, mais je suis convaincu que mon frère aîné, au cours de sa brillante jeunesse, sans aller aussi loin que le baron, trouva peu de femmes qui ne répondissent pas à ses hommages, au moins par une secrète, mais douce émotion. Dans combien d’aventures cette séduction de sa personne ne l’entraîna-t-elle pas. Il en est une où son sang-froid, sa hardiesse le tirèrent d’une situation bien hasardeuse. C’était à l’époque où les tentatives d’insurrection étaient continuelles à Paris ; il, ou elle, avait eu l’idée au moins originale, de se donner rendez-vous dans une rue peu poétique, qui existe encore aujourd’hui, la rue Tiquetonne. Or voilà que des rumeurs sinistres se font entendre, puis s’apaisent pour recommencer de plus belle. Bientôt on distingue des bruits lointains de tambours, suivis de coups de fusil. C’est la situation du IVe acte des Huguenots ! On se précipite à la fenêtre ; la rue est pleine d’insurgés en armes, occupés à construire des barricades ! Comment s’échapper, lui, le prince royal, connu du monde entier : « Je relevai, me dit-il, le collet de mon paletot et j’eus la chance d’arriver dans la rue au moment où l’on traînait une voiture pour la renverser comme noyau de barricade. Je m’y attelai à l’instant, aidai à la culbuter et à accumuler autour d’elle pavés et matériaux avec un zèle qui eut désarmé tout soupçon, puis, guettant le moment, je m’échappai. » Une heure après, il était à cheval en uniforme et la garde municipale enlevait sa barricade à la baïonnette.

Tombeau à la Chapelle Royale de Dreux de Ferdinand-Philippe d'Orléans (1810-1842), prince royal et duc d'Orléans. Gisant réalisé par Pierre Loison. Tombeau de Hélène de Mecklembourg-Schwerin (1814-1858), son épouse. Gisant réalisé par Henri Chapu.

Tel était, sous toutes ses faces, le frère que je venais de perdre. J’arrivai à Neuilly à temps pour prendre part aux obsèques solennelles qui lui furent faites à Notre-Dame, au milieu des témoignages touchants d’une douleur universelle. Nous le conduisîmes ensuite à la chapelle funéraire de Dreux, puis nous nous enfermâmes à Neuilly pour nous serrer les uns contre les autres et pleurer dans la retraite et le silence.

Source : Vieux souvenirs de Mgr le Prince de Joinville 1818-1848, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1970, p.198-202.

lundi 18 février 2013

Seuls les Jacobins et les autres clubs favorables à une révolution radicale avaient le droit de former des clubs, de se rassembler, malgré un décret de la Constitution.

Portrait de Victor Pierre Malouet (1740-1814), dessiné par Jean-Urbain Guérin (1760-1836) et gravé par Franz-Gabriel Fiesinger (1723-1807).

"Il s'était formé un nouveau club sous le titre de "Amis de la constitution monarchique", dont étaient MM. Malouet, de Clermont-Tonnerre, de Virieu, et plusieurs autres personnes qui professaient les mêmes opinions. Ils avaient eu la précaution d'en prévenir le maire et le commandant de Paris, et commencèrent ensuite leurs séances. Comme beaucoup de personnes se disposaient à les joindre, les Jacobins, effrayés, résolurent d'attaquer le club par tous les moyens qu'ils avaient en leur pouvoir. Ils leur donnèrent d'abord le nom d'impudents monarchiens. Profitant ensuite de l'imprudence qu'ils avaient faite de donner aux pauvres du pain au-dessous de la taxe de la ville, ils les accusèrent de chercher à corrompre le peuple, et le club reçut l'ordre d'interrompre ses séances jusqu'à ce qu'il plût à M. Cayer de Gerville, procureur de la commune, d'instruire son procès, conformément à l'ordre que lui en avait donné la section de l'Oratoire. La société s'y soumit, mais en protestant et demandant justice contre une pareille violation de la Constitution 1. Plusieurs sociétés du même genre qui s'étaient formées à Grenoble et dans d'autres villes du royaume furent également forcées de se dissoudre, comme étant contraires à la liberté ! Les Jacobins seuls avaient le droit d'en former de semblables, et chaque crime ou acte de violence de leur part était toujours excusé, sous le prétexte de déjouer un projet de contre-révolution.

Portrait de François-Henri, comte de Virieu (1754-1793), en 1789.

On permit, quelque temps après, de rouvrir le club monarchique ; mais les Jacobins, pour en effrayer les membres, organisèrent un attroupement qui menaça d'incendier la maison de M. de Clermont-Tonnerre. Il en fut averti, quitta sur-le-champs l'Assemblée, et parvint par sa fermeté à dissiper l'attroupement. M. Bailly, qui n'arrivait jamais qu'à la fin des tumultes, et qui adoucissait toutes les violences des stipendiés des Jacobins, vint assurer l'Assemblée que le rassemblement était peu de chose, et même déjà calmé au moment de son arrivée. Si le peuple eût été aussi facile à soulever qu'au commencement de la Révolution, M. Malouet, menacé violemment en venant au secours de M. de Clermont-Tonnerre, aurait été mis en pièce ; mais il commençait heureusement à se fatiguer des insurrections, qui n'étaient plus formées que par les stipendiés des Jacobins. MM. Victor de Broglie, Alexandre de Lameth et de Beauharnais, qui redoutaient l'établissement du club monarchique, se permirent contre lui les déclamations les plus violentes, dans les séances des Jacobins. Barnave, qui ne perdait pas une occasion de saper les fondements de la monarchie en détruisant tous ses soutiens, les seconda, et ils intimidèrent tellement les locataires de leur salon, qu'aucun n'osa les recevoir, et cette société ne put jamais parvenir à s'établir.

Portrait de Stanislas Marie Adelaïde, comte de Clermont-Tonnerre (1757-1792).

1. Plusieurs décrets et particulièrement l'un du 30 novembre [1791], sollicités par les mêmes Jacobins reconnaissent aux citoyens le droits de se réunir pour conférer des affaires publiques, et encore plus, le droit aux sociétés de s'affilier entre-elles. "

Source : Mémoires de Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986, p.201-203.

dimanche 17 février 2013

Louis XVI, un roi bon et juste mais bien trop modeste.

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788, huile sur toile peinte par Louis Hersent (1777-1860) en 1817, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 1,710 m ; Longueur : 2,270 m. N° d'inventaire : MV223).

"Le Roi avait [le malheur] d'avoir une trop grande défiance de lui-même. Persuadé que les autres voyaient mieux que lui, il n'osait prendre le parti que lui indiquaient la justesse de son esprit et la bonté de son cœur.  Mécontent de l'éducation qu'il avait reçue, il se jugeait défavorablement, et ne se rendait pas la justice qu'il méritait."

Source : Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986, p.135-136.

Des persécutions et des arrestations arbitraires à l'encontre d'hommes et de femmes pendant la Révolution française.

"Les fidèles serviteurs du Roi ne cessaient d'être en butte aux persécutions des malveillants, qui, étant assurés de trouver une indulgence paternelle dans le sein de l'assemblée, se permettaient des arrestations continuelles sur les dénonciations les plus invraisemblables."1
"Sous le nom de liberté, qu'[elle] prononçait avec tant de complaisance, la France était livrée à l'anarchie la plus complète, et tout ce qui y existait de gens honnêtes et vertueux gémissait sous le joug le plus tyrannique."2
"M. de Clermont-Tonnerre saisit cette occasion [, qui est l'arrestation arbitraire de madame de Jumilhac,] pour se plaindre d'un comité des recherches qui, établi de lui-même et sans aucune loi, se permettait des arrestations si contraires à la liberté, s'arrogeait des droits encore plus odieux que les lettres de cachet, et vexait impunément toutes les classes des citoyens. Toute la partie saine de l'Assemblée applaudit à ce discours, qui ne contribua pas peu à la prompte liberté de madame de Jumilhac ; mais le comité n'en continua pas moins ses vexations ordinaires."3

Source : Mémoires de la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986.
(1) p.112.
(2) p.132.
(3) p.137-138.

Discours du 4 février 1790 de Louis XVI devant l'Assemblée.

Allégorie à Louis XVI et à la Constitution, estampe d'Augustin de Saint-Aubin  (1736-1807), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 0,265 m ; Longueur : 0,197 m. N° d'inventaire : LP83-10).

"Le Roi, qui n'avait en vue que le bonheur de la France, et qui croyait ce plan propre à ramener les esprits, si chacun voulait consentir à quelques sacrifices pour ramener la paix et la concorde, se décida, par l'avis de ses ministres, à tenter vis-à-vis de l'Assemblée une démarche qu'il croyait propre à remplir ce but. Il s'y rendit en personne le 4 février, et déclara que la gravité des circonstances le conduisait au milieu d'elle, pour lui représenter  le danger imminent qu'il y avait à laisser affaiblir chaque jour l'ordre et la subordination, celui qu'entraînaient la suspension et l'inactivité de la justice, la situation critique des finances et l'incertitude sur la fortune publique. Il ajouta que tout se réunissant pour inquiéter les amis de l'ordre et de la prospérité du royaume, il était temps de mettre un terme à tant de maux.
Le discours du Roi peignait tellement sa bonté et son amour pour son peuple, que je ne puis me refuser à en en donner un extrait :
"Messieurs, leur dit ce bon prince, un grand but se présente à nos regards ; mais il faut l'atteindre sans accroissement de troubles et de convulsions. J'ai tout tenté pour vous donner les moyens d'y parvenir, et malgré les circonstances difficiles et affligeantes où je me suis trouvé, je n'ai rien négligé pour contribuer  au bonheur du peuple. Je ferai, comme j'ai déjà fait, tous les sacrifices nécessaires pour y parvenir ; mais il faut que nous nous secondions mutuellement. Un intérêt commun doit réunir aujourd'hui tous les citoyens, pour ne  mettre aucun obstacle à terminer la Constitution ; le temps réformera ce qu'elle peut avoir de défectueux ; mais toute entreprise qui tendrait à la renverser ne pourrait avoir que des suites funestes.
Mettez fin aux inquiétudes qui éloignent de la France un si grand nombre de citoyens, et dont l'effet contraste avec la liberté que vous voulez établir.
J'aime à croire que les Français reconnaîtront un jour l'avantage de la suppression d'ordres et d'états, tant qu'il sera question de travailler en commun au bien public ; mais je pense, en même temps, que rien ne peut détruire tout ce qui tend à rappeler à une nation l'ancienneté et la continuité des services d'une race honorée, non plus que le respect dû aux ministres d'une religion que tous les citoyens ont un égal intérêt à maintenir et à défendre.
Je ne puis vous dissimuler les pertes qu'ont faites ceux qui ont abandonné leurs privilèges pécunieux, et qui ne font plus d'ordre politique dans l'Etat : mais ils ont assez de générosité pour se trouver dédommagés, si la nation se trouve heureuse de leurs sacrifices. J'en aurais aussi beaucoup à compter, si je m'occupais de mes pertes personnelles ; mais j'y trouverai une pleine compensation quand je serai témoin du bonheur du peuple.

Trait d'humanité de Louis XVI, le Roi distribuant des aumônes aux habitants de Versailles pendant l'hiver 1784 (En février 1784, Louis XVI, se trouvant près de Versailles, visite une famille de paysans malheureux et lui donne la bourse qu'il a sur lui), huile sur toile peinte en 1785 par le peintre et graveur Philibert-Louis Debucourt (1755-1832), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 0.615 m ; Longueur : 0,829 m. N° d'inventaire : MV7896).

Je maintiendrai la liberté constitutionnelle dont le vœu général a consacré les principes, et, de concert avec la Reine, je préparerai de bonne heure le cœur et l'esprit de mon fils au nouvel ordre de choses qui s'établit, et je l'accoutumerai, dès ses premiers ans, à être heureux du bonheur des Français.
Je ne mets pas en doute que vous ne vous occupiez d'affermir le pouvoir exécutif, sans lequel il ne peut y avoir aucune sûreté au-dedans et au-dehors, et que vous ne perdrez pas de vue que la confusion des pouvoirs dégénère bientôt dans la plus dangereuse des tyrannies.
Vous considérerez tout ce qu'exige un royaume tel que la France, par son étendue, sa population, ses  relations extérieures, et vous ne négligerez pas de fixer votre attention sur le caractère et les habitudes du peuple français, pour ne point altérer, mais entretenir, au contraire, les sentiments de douceur, de confiance et de bonté qui lui ont valu tant de renommée et de considération ; donnez-lui l'exemple de la justice qui sert de sauvegarde à la propriété, et qui est si nécessaire à l'ordre social.
Joignez-vous à moi pour empêcher les violences criminelles et les excès qui se commettent dans les provinces ; et vous, Messieurs, qui pouvez par tant de moyens influer sur la confiance publique, éclairez ce bon peuple qui m'est si cher, et dont on me dit que je suis aimé, quand on veut me consoler de mes peines. Ah ! s'il savait combien je suis malheureux quand j'apprends qu'il s'est commis quelque attentat contre les personnes et les propriétés, il m'épargnerait cette douloureuse amertume ; il est temps de faire cesser toute inquiétude, et de rendre au royaume toute la force et le crédit auquel il peut attendre.
Puisse cette journée, où votre Monarque vient s'unir à vous de la manière la plus franche et la plus intime, être un signal de paix et de rapprochement ; que ceux qui s'éloignent de cet esprit de paix et de concorde me fassent le sacrifice de tout ce qui les afflige, et je les payerai de la plus profonde reconnaissance. Ne professons tous, à compter de ce jour, qu'un seul sentiment : l'attachement à la Constitution, et le désir ardent de la paix et de la prospérité de la France.""

Source : Mémoires de la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986, p.59-62.

jeudi 31 janvier 2013

La Reine Marie-Antoinette au temps de son impopularité et l'idée du Prince de Ligne d'installer la Cour à Paris.

"L'impopularité grandissante de Marie-Antoinette révèle ceux qui entouraient le trône lui-même. Des pamphlets obscènes circulaient, de la plume de Beaumarchais ou d'autres, comme ces Fureurs utérines de Marie-Antoinette, accusant la reine d'être un bisexuelle vorace et ses enfants des bâtards. Refusant de les prendre aux sérieux, contrairement aux futurs historiens, elle les montrait à ses amis avec force éclats de rire. Il y en avait tant que Ligne lui dit un jour être convaincu que "Votre Majesté est de moitié pour les profits". Il était d'ailleurs bien placé pour voir que ces libelles trouvaient leur origine à l'intérieur même du cercle intime de la reine. Un jour que Mme de Polignac et Marie-Antoinette pleuraient dans les bras l'une de l'autre sur les malheurs de la duchesse qu'une intrigue visait à la Cour, le comte d'Artois entra dans la pièce. "Ne vous gênez pas", dit-il en rient, et il s'éloigna racontant partout qu'il avait dérangé deux amis.

Yolande-Gabrielle-Martine de Polastron, duchesse de Polignac (1749-1793), portrait « au chapeau de toile ». Huile sur toile d’Élisabeth-Louise Vigée-Lebrun (1755-1842) datée de 1782, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 0,922 m; Longueur : 0,733 m. N° d'inventaire : MV 8971).

Ligne ne cessa jamais de défendre la reine et contribua à propager la légende blanche de Marie-Antoinette, "mille fois trop bonne", aussi éloignée de la vérité que la légende noire répandue par les pamphlets. On sait le luxe dont elle s'entourait. Son extravagance était telle qu'un jour, ayant épuisé son allocation mensuelle, elle dut demander à Ligne d'emprunter vingt-cinq louis aux valets de service dans l'antichambre afin de pouvoir verser une aumône à une mendiante. Ce qui n'empêcha pas Ligne d'écrire que la moindre servante ou maîtresse de ministre vivait dans une plus grande opulence que la reine. Il nia qu'elle ait eu des amants, affirmant qu'"il n'y eut jamais aucun de nous qui avions le bonheur de la voir tous les jours, qui osât en abuser, par la plus petite inconvenance, elle faisait la Reine sans s'en douter, on l'adorait sans songer à l'aimer".
Tout ce qu'elle faisait, dit-il, était pris en mal. Si elle riait, on la traitait de "moqueuse". Si elle se montrait accueillante envers des étrangers, c'était le signe qu'elle haïssait la France. Si elle dînait avec Mme de Polignac dans son appartement, elle était "familière". Les fêtes qu'elle donnait au Petit Trianon prouvaient qu'elle était "bourgeoise" et, lorsqu'elle se promenait avec ses belles-sœurs les soirs d'été sur la terrasse de Versailles, elle était "suspecte". Lorsqu'elle devint moins frivole, on la dit "intrigante". Ligne rappela que, parallèlement à la vie qu'elle menait avec ses amis, elle maintenait le cérémonial entourant une reine de France. "La reine n'a pas négligé un dîner public ; ses jeux de représentation si ennuyeux du mercredi et du dimanche ; les mardis des ambassadeurs et des étrangers ; les présentations ; ce qu'on appelait les révérences ; la cour du matin qu'on appelait la toilette de la reine avant le passage de la galerie pour la messe, tous les jours ; grand couvert ; grandes loges ; soupers dans les cabinets les mardis et les jeudis avec les nobles ennuyeux, etc."
Pourtant, même à la Cour, on n'aimait ni ne respectait la reine. Écervelée et égoïste, elle n'avait appris à écrire correctement qu'à l'âge de treize ans. Elle ignorait l'étiquette, laissant sa dame de compagnie loin en arrière lorsqu'elle se promenait à cheval en compagnie de Ligne, ou jetant dans le lac les chapeaux de ses invités à la fin d'un dîner au Petit Trianon. En sa présence, mais derrière son dos, Artois et Mme de Polignac critiquaient son manque de dignité et son excessif attachement aux Habsbourg. [...] Ligne écrira plus tard à sa fille Christine qu'il était peut-être le seul à aimer sincèrement Marie-Antoinette.

Le comte d'Artois, depuis Charles X (1757-1836), par Richard Cosway (1742-1821). Peinture sur ivoire de 1786, produite en Angleterre, conservée à Chantilly, musée Condé (Hauteur : 0,105 m ; Longueur : 0,085 m. N° d'inventaire : OA1488).

Sous Louis XIV, les invitations pour Marly étaient si convoitées que les courtisans s'alignaient le long du chemin qu'il empruntait pour aller à la messe, suppliant : "Marly, sire ?". Sous Louis XVI, si peu nombreuses étaient les dames désirant se rendre à Marly qu'une visite de la Cour dut être annulée. Au début des années 1780, les gens qui, à l'Opéra de Paris, essayaient d'acclamer Marie-Antoinette se faisaient huer. Pour ligne, la solution résidait dans l'installation de la Cour à Paris. La distance, le climat et l'atmosphère de Versailles étaient oppressants La "cour de gaieté" devait vivre dans un Louvre restauré et agrandi, face à une magnifique place qui s'étendrait jusqu'aux Tuileries (un programme que réalisera Napoléon III). "Que Paris voie, aime et connaisse ses souverains.""

Source : Philip Mansel, Charles-Joseph de Ligne 1735-1814, éd. Stock, 1992, p.76-77.

Des illusions et le bouleversement de la vapeur, de l'électricité et des communications.

"Sauf les classes criminelles et les révolutionnaires incorrigibles recherchant l'impossible, chacun se santait protégé dans sa sécurité, sa liberté, ses croyances ; aussi, comme je l'entendais dite tous côtés en revenant de campagne, on se sentait bien gouverné. Il est vrai que si j'ouvrais les journaux, j'y lisais le plus souvent le contraire. S'il se trouvait parmi ces journaux des organes de publicité sérieux, rédigés par des hommes de cœur et de talent qui, quelles que fussent leurs opinions, s'efforçaient par leurs écrits de bien servir leur pays, combien d'autres avaient pour rédacteurs de vrais marchands d'injures, d'autant plus lus qu'ils étaient plus calomnieux, courtisans de toutes les passions envieuses et subversives. Ces hommes étaient les interprètes de cette classe de plus en plus nombreuse de spéculateurs qui déserte toute carrière utile pour demander la fortune aux hasards de la politique. Selon eux, l'oppression et la corruption étaient intolérables et ne cesseraient que lorsque le pouvoir passerait entre leurs mains immaculées. Seuls ils possédaient le secret de transformer la France en paradis terrestre par l'application sincère des grands principes sonores de Liberté, Égalité, Fraternité. Cette sincérité d'application, si souvent annoncée, tarde un peu à venir, surtout quant à l'égalité, qui pour tant de gens signifie seulement : Ce que je n'ai pas, personne ne l'aura ! Certes le mot égalité est séduisant, et dans toute la société qui se respecte, l'égalité devant la loi doit être entière, absolue pour tous. Mais tant que la science n'aura pas trouvé le moyen de faire tous les hommes également intelligents et toutes les femmes également belles, je considérerai l'égalité universelle, aveugle, comme la plus absurde et la plus dangereuse des chimères.

La République par Jules Claude Ziegler (1804-1856), 1848, huile sur toile, Lille, Palais des Beaux-Arts (Hauteur : 0,740 m, Longueur : 0,580 m. N° d'inventaire : Inv.P.953).

Ces réflexions ne me venaient pas à l'esprit à l'époque dont je parle ; j'étais, en 1840, trop insouciant pour me tracasser des casse-tête enfantés par nos office-seekers, chasseurs de place, comme disent les Américains. Pendant qu'ils s'amusaient aux fantaisies envieuses, irréligieuses, malsaines, intéressées surtout, qu'ils prétendaient faire découler des principes de 1789, une révolution bien plus terrible que la révolution française, car elle frappait le pauvre comme le riche, n'allait pas tarder à fondre sur nous : la révolution causée par l'emploi de la vapeur, de l'électricité, par la rapidité des communications. Peu de gens prévoyaient alors le bouleversement profond qui allait atteindre chez tous les peuples agglomérés en vieilles sociétés sur un sol épuisé, les conditions du travail, de l'alimentation, de l'existence même, bouleversement dont nous ne sommes qu'au début, sans en entrevoir le remède."

Source : Vieux souvenirs de Mgr le Prince de Joinville 1818-1848, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1970, p. 142-143.