samedi 23 février 2013

La disparition de l'aîné d'une fatrie, de l'aîné des enfants du Roi Louis-Philippe et de la Reine Marie-Amélie : le duc d'Orléans (1810-1842).



Le duc d'Orléans (1810-1842), fils aîné du roi Louis-Philippe, d'après le moulage en plâtre du visage du défunt exécuté en 1842. Buste en bronze, fondu à la cire perdue, réalisé par Jean-Jacques dit James Pradier (1792-1852). Paris, musée du Louvre (Hauteur : 0,600 m ; Longueur : 0,580 m ; Profondeur : 0,285 m. N° d'inventaire : RF1721).
 
"Nous étions en pleine mer, tout aux devoirs du métier et à nos exercices quotidiens, lorsqu’on aperçoit au loin la fumée d’un bateau à vapeur ; bientôt il apparaît et se couvre de signaux adressés à l’amiral, qui ordonne à la flotte de mettre en panne. La mer étant belle, un officier se détache du vapeur, se rend à bord de l’Océan, et tout aussitôt nous voyons mettre à l’eau le canot de l’amiral qui s’y embarque et se dirige vers la Belle-Poule. Au milieu de l’étonnement général et des mille conjectures qu’inspire cet incident inusité, je reçois mon chef à la coupée. Il me saisit la main, la serre fortement, m’entraîne dans la chambre et me dit : « Votre frère le duc d’Orléans est mort, tué dans un accident de voiture. J’ai ordre de vous envoyer immédiatement à Paris. » Sa rude figure de vieux marin marquait une profonde émotion, mais que dire de ce que j’éprouvai devant ce coup terrible et si inattendu. Les grandes douleurs de ce monde sont les déchirements du cœur, mais ici la douleur était plus poignante, car je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une famille plus unie que la nôtre. Et non seulement je perdais le plus aimé des frères, mais le confident, le compagnon, le guide de toute ma vie. Je voyais, je sentais le désespoir de tous les miens, de mon père, de ma mère surtout, comme de mes frères et sœurs, à ce coup effroyable, et leur douleur venait encore s’ajouter à la mienne. Je restai un moment atterré, puis l’amiral me quitta, je remis le commandement à mon second, et une heure après, j’étais en route pour Toulon, lisant sur les visages mornes le sentiment qu’un malheur public était survenu et que la France venait de faire une grande perte.

Ferdinand Philippe, duc d'Orléans (1810-1842), représenté en uniforme de général de division, huile sur toile peinte en 1844 par Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 2,180 m ; Longueur : 1,310 m. N° d'inventaire : MV5209).

La perte était immense, irréparable, en effet. Depuis dix ans, nous tous, et avec nous la France entière, considérions mon frère comme le chef, le chef de demain, le chef des grands jours à venir. Sans doute nous avions pour le Roi, pour le Père, comme nous l’appelions entre nous, la plus tendre affection, le plus entier dévouement, le plus profond respect, mais celui vers lequel nous nous tournions pour avoir une direction, c’était Chartres. Pas un de nous qui n’eut depuis l’enfance accepté sans hésitation ses conseils, son autorité.
Que de fois n’avions-nous pas discuté avec lui toutes les chances de l’avenir au dedans comme au dehors, et ne nous avait-il pas distribué à chacun les rôles qu’il nous destinait, rôles que nous sentions marqués au coin du bon sens, de la connaissance profonde des choses, et de cette griffe du chef qui s’impose. Ce que nous éprouvions vis-à-vis de lui, nous, ses frères, ses lieutenants, le pays l’éprouvait également. Aujourd’hui le Roi était sur la brèche et livrait chaque jour, avec son grand courage, la bataille de la vie, afin de conserver à la France la paix, le calme, la prospérité dont elle jouissait, et ceux que l’envie démocratique n’aveuglait pas l’en remerciaient. Mais le Roi vieillissait, les grands accidents pouvaient se produire, et, comme nous, tout le monde tournait les yeux avec confiance vers le chef jeune qui, sans se mêler aux luttes stériles de la politique terre à terre, se préparait sans relâche pour les grandes éventualités.

Les Ducs d'Orléans et de Nemours dans la tranchée au siège de la citadelle d'Anvers, 29/30 novembre 1832, huile sur toile peinte en 1836 par Jean Léonard Lugardon (1801-1884), d'après Roger Adolphe (1800-1880), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 1,180 m ; Longueur : 0,880 m. N° d'inventaire : MV1824).

Aussi bien-pour tous que pour nous, le chef de demain était, je le répète, le duc d’Orléans. On lui savait gré de l’attention de tous les instants qu’il apportait à la bonne organisation, au perfectionnement de nos forces militaires du soin avec lequel il allait chercher dans leurs rangs, sans ombre de favoritisme et sans distinction de naissance, les hommes les plus méritants, les Lamoricière, les Cavaignac, les Canrobert, les Mac-Mahon, pour les pousser au premier rang. C’était pour demain. De même dans le civil, s’il tendait la main, non pas aux incorrigibles révolutionnaires, mais aux hommes d’opinions avancées, qui faisaient de l’opposition au gouvernement du Roi, c’était aussi pour demain, pour pouvoir à l’heure des dangers de la patrie, servir de trait d’union patriotique à toutes les forces vives de la nation. Hélas ! le sentiment général, le nôtre comme celui de' la grande majorité des hommes qui songent, fut que le lien qui aurait pu réunir en faisceau ces forces, soit contre la révolution débordante au dedans, soit contre l’ennemi au dehors, venait de se briser. La mort détruisait une succession anticipée, acceptée de tous, et le principal soutien de la monarchie de Juillet. Désormais le-navire allait errer sans chef, sans but, sans boussole, exposé à tous les orages. Les hommes comme les principes faisant défaut à la fois, nous retombions dans les gouvernements éphémères. Les événements n’ont que trop justifié les tristes pressentiments.
Comme homme, mon frère aîné était grand et d’une taille élancée, exceptionnellement élégante. A cheval, en uniforme, c’était un superbe cavalier et sa prestance militaire plaisait également au soldat et à la foule. Brave ! Il l’était jusqu’à la témérité ; autre cause de popularité auprès des foules. On savait qu’en Afrique, devant Mascara, il avait été blessé en se jetant hardiment à un moment critique au milieu des tirailleurs. On savait qu’au col de Mouzaïa, quand toute l’armée portait un képi couvert d’une toile cirée noire, il avait voulu, seul, rester coiffé d’un képi rouge éclatant qui le désignait à tous comme chef, mais qui le désignait aussi, et avec lui ses voisins, aux balles de l’ennemi. A la séduction de la bravoure, mon frère joignait encore celle de la parole, de cette musique de mots à laquelle les hommes et surtout les Français sont si sensibles, et il y joignait une autre vertu non moins séductrice, surtout chez un prince : il savait écouter. Écouter a même été une de ses qualités maîtresses, car entouré comme il l’était toujours d’hommes éminents de tous pays, il s’assimilait avec une merveilleuse facilité et une mémoire admirable, non seulement les idées fécondes qu’il découvrait dans leurs conversations, mais jusqu’aux paroles qui avaient saisi son imagination. De ces paroles, comme de celles qui sortaient de son esprit cultivé, si français, et de son cœur, il savait faire un merveilleux usage.
[…]

Portrait en pied du duc de Chartres (1810-1842), portrait du futur duc d'Orléans en uniforme de colonel des hussards, huile sur toile par Ary Scheffer (1795-1858), conservée à Chantilly, musée Condé (Hauteur : 0,640 m ; Longueur : 0,430 m. N° d'inventaire : PE446).

C’était un charmeur, charmeur de soldats, charmeur d’artistes, qui trouvaient chez lui encouragement et protection ; charmeur aussi de femmes. Mais ici je touche un point délicat, où le secret inviolable et plus que le secret m’arrêtent. Le vieux baron James de Rothschild disait sur ses vieux jours qu’il était encore à connaître la femme qui lui résisterait. Je crois qu’il se vantait un peu ; je crois aussi que s’il ne l’avait pas connue, il finit par la rencontrer, mais je suis convaincu que mon frère aîné, au cours de sa brillante jeunesse, sans aller aussi loin que le baron, trouva peu de femmes qui ne répondissent pas à ses hommages, au moins par une secrète, mais douce émotion. Dans combien d’aventures cette séduction de sa personne ne l’entraîna-t-elle pas. Il en est une où son sang-froid, sa hardiesse le tirèrent d’une situation bien hasardeuse. C’était à l’époque où les tentatives d’insurrection étaient continuelles à Paris ; il, ou elle, avait eu l’idée au moins originale, de se donner rendez-vous dans une rue peu poétique, qui existe encore aujourd’hui, la rue Tiquetonne. Or voilà que des rumeurs sinistres se font entendre, puis s’apaisent pour recommencer de plus belle. Bientôt on distingue des bruits lointains de tambours, suivis de coups de fusil. C’est la situation du IVe acte des Huguenots ! On se précipite à la fenêtre ; la rue est pleine d’insurgés en armes, occupés à construire des barricades ! Comment s’échapper, lui, le prince royal, connu du monde entier : « Je relevai, me dit-il, le collet de mon paletot et j’eus la chance d’arriver dans la rue au moment où l’on traînait une voiture pour la renverser comme noyau de barricade. Je m’y attelai à l’instant, aidai à la culbuter et à accumuler autour d’elle pavés et matériaux avec un zèle qui eut désarmé tout soupçon, puis, guettant le moment, je m’échappai. » Une heure après, il était à cheval en uniforme et la garde municipale enlevait sa barricade à la baïonnette.

Tombeau à la Chapelle Royale de Dreux de Ferdinand-Philippe d'Orléans (1810-1842), prince royal et duc d'Orléans. Gisant réalisé par Pierre Loison. Tombeau de Hélène de Mecklembourg-Schwerin (1814-1858), son épouse. Gisant réalisé par Henri Chapu.

Tel était, sous toutes ses faces, le frère que je venais de perdre. J’arrivai à Neuilly à temps pour prendre part aux obsèques solennelles qui lui furent faites à Notre-Dame, au milieu des témoignages touchants d’une douleur universelle. Nous le conduisîmes ensuite à la chapelle funéraire de Dreux, puis nous nous enfermâmes à Neuilly pour nous serrer les uns contre les autres et pleurer dans la retraite et le silence.

Source : Vieux souvenirs de Mgr le Prince de Joinville 1818-1848, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1970, p.198-202.

lundi 18 février 2013

Seuls les Jacobins et les autres clubs favorables à une révolution radicale avaient le droit de former des clubs, de se rassembler, malgré un décret de la Constitution.

Portrait de Victor Pierre Malouet (1740-1814), dessiné par Jean-Urbain Guérin (1760-1836) et gravé par Franz-Gabriel Fiesinger (1723-1807).

"Il s'était formé un nouveau club sous le titre de "Amis de la constitution monarchique", dont étaient MM. Malouet, de Clermont-Tonnerre, de Virieu, et plusieurs autres personnes qui professaient les mêmes opinions. Ils avaient eu la précaution d'en prévenir le maire et le commandant de Paris, et commencèrent ensuite leurs séances. Comme beaucoup de personnes se disposaient à les joindre, les Jacobins, effrayés, résolurent d'attaquer le club par tous les moyens qu'ils avaient en leur pouvoir. Ils leur donnèrent d'abord le nom d'impudents monarchiens. Profitant ensuite de l'imprudence qu'ils avaient faite de donner aux pauvres du pain au-dessous de la taxe de la ville, ils les accusèrent de chercher à corrompre le peuple, et le club reçut l'ordre d'interrompre ses séances jusqu'à ce qu'il plût à M. Cayer de Gerville, procureur de la commune, d'instruire son procès, conformément à l'ordre que lui en avait donné la section de l'Oratoire. La société s'y soumit, mais en protestant et demandant justice contre une pareille violation de la Constitution 1. Plusieurs sociétés du même genre qui s'étaient formées à Grenoble et dans d'autres villes du royaume furent également forcées de se dissoudre, comme étant contraires à la liberté ! Les Jacobins seuls avaient le droit d'en former de semblables, et chaque crime ou acte de violence de leur part était toujours excusé, sous le prétexte de déjouer un projet de contre-révolution.

Portrait de François-Henri, comte de Virieu (1754-1793), en 1789.

On permit, quelque temps après, de rouvrir le club monarchique ; mais les Jacobins, pour en effrayer les membres, organisèrent un attroupement qui menaça d'incendier la maison de M. de Clermont-Tonnerre. Il en fut averti, quitta sur-le-champs l'Assemblée, et parvint par sa fermeté à dissiper l'attroupement. M. Bailly, qui n'arrivait jamais qu'à la fin des tumultes, et qui adoucissait toutes les violences des stipendiés des Jacobins, vint assurer l'Assemblée que le rassemblement était peu de chose, et même déjà calmé au moment de son arrivée. Si le peuple eût été aussi facile à soulever qu'au commencement de la Révolution, M. Malouet, menacé violemment en venant au secours de M. de Clermont-Tonnerre, aurait été mis en pièce ; mais il commençait heureusement à se fatiguer des insurrections, qui n'étaient plus formées que par les stipendiés des Jacobins. MM. Victor de Broglie, Alexandre de Lameth et de Beauharnais, qui redoutaient l'établissement du club monarchique, se permirent contre lui les déclamations les plus violentes, dans les séances des Jacobins. Barnave, qui ne perdait pas une occasion de saper les fondements de la monarchie en détruisant tous ses soutiens, les seconda, et ils intimidèrent tellement les locataires de leur salon, qu'aucun n'osa les recevoir, et cette société ne put jamais parvenir à s'établir.

Portrait de Stanislas Marie Adelaïde, comte de Clermont-Tonnerre (1757-1792).

1. Plusieurs décrets et particulièrement l'un du 30 novembre [1791], sollicités par les mêmes Jacobins reconnaissent aux citoyens le droits de se réunir pour conférer des affaires publiques, et encore plus, le droit aux sociétés de s'affilier entre-elles. "

Source : Mémoires de Madame de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986, p.201-203.

dimanche 17 février 2013

Louis XVI, un roi bon et juste mais bien trop modeste.

Louis XVI distribuant des aumônes aux pauvres de Versailles pendant l'hiver de 1788, huile sur toile peinte par Louis Hersent (1777-1860) en 1817, Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 1,710 m ; Longueur : 2,270 m. N° d'inventaire : MV223).

"Le Roi avait [le malheur] d'avoir une trop grande défiance de lui-même. Persuadé que les autres voyaient mieux que lui, il n'osait prendre le parti que lui indiquaient la justesse de son esprit et la bonté de son cœur.  Mécontent de l'éducation qu'il avait reçue, il se jugeait défavorablement, et ne se rendait pas la justice qu'il méritait."

Source : Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986, p.135-136.

Des persécutions et des arrestations arbitraires à l'encontre d'hommes et de femmes pendant la Révolution française.

"Les fidèles serviteurs du Roi ne cessaient d'être en butte aux persécutions des malveillants, qui, étant assurés de trouver une indulgence paternelle dans le sein de l'assemblée, se permettaient des arrestations continuelles sur les dénonciations les plus invraisemblables."1
"Sous le nom de liberté, qu'[elle] prononçait avec tant de complaisance, la France était livrée à l'anarchie la plus complète, et tout ce qui y existait de gens honnêtes et vertueux gémissait sous le joug le plus tyrannique."2
"M. de Clermont-Tonnerre saisit cette occasion [, qui est l'arrestation arbitraire de madame de Jumilhac,] pour se plaindre d'un comité des recherches qui, établi de lui-même et sans aucune loi, se permettait des arrestations si contraires à la liberté, s'arrogeait des droits encore plus odieux que les lettres de cachet, et vexait impunément toutes les classes des citoyens. Toute la partie saine de l'Assemblée applaudit à ce discours, qui ne contribua pas peu à la prompte liberté de madame de Jumilhac ; mais le comité n'en continua pas moins ses vexations ordinaires."3

Source : Mémoires de la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986.
(1) p.112.
(2) p.132.
(3) p.137-138.

Discours du 4 février 1790 de Louis XVI devant l'Assemblée.

Allégorie à Louis XVI et à la Constitution, estampe d'Augustin de Saint-Aubin  (1736-1807), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 0,265 m ; Longueur : 0,197 m. N° d'inventaire : LP83-10).

"Le Roi, qui n'avait en vue que le bonheur de la France, et qui croyait ce plan propre à ramener les esprits, si chacun voulait consentir à quelques sacrifices pour ramener la paix et la concorde, se décida, par l'avis de ses ministres, à tenter vis-à-vis de l'Assemblée une démarche qu'il croyait propre à remplir ce but. Il s'y rendit en personne le 4 février, et déclara que la gravité des circonstances le conduisait au milieu d'elle, pour lui représenter  le danger imminent qu'il y avait à laisser affaiblir chaque jour l'ordre et la subordination, celui qu'entraînaient la suspension et l'inactivité de la justice, la situation critique des finances et l'incertitude sur la fortune publique. Il ajouta que tout se réunissant pour inquiéter les amis de l'ordre et de la prospérité du royaume, il était temps de mettre un terme à tant de maux.
Le discours du Roi peignait tellement sa bonté et son amour pour son peuple, que je ne puis me refuser à en en donner un extrait :
"Messieurs, leur dit ce bon prince, un grand but se présente à nos regards ; mais il faut l'atteindre sans accroissement de troubles et de convulsions. J'ai tout tenté pour vous donner les moyens d'y parvenir, et malgré les circonstances difficiles et affligeantes où je me suis trouvé, je n'ai rien négligé pour contribuer  au bonheur du peuple. Je ferai, comme j'ai déjà fait, tous les sacrifices nécessaires pour y parvenir ; mais il faut que nous nous secondions mutuellement. Un intérêt commun doit réunir aujourd'hui tous les citoyens, pour ne  mettre aucun obstacle à terminer la Constitution ; le temps réformera ce qu'elle peut avoir de défectueux ; mais toute entreprise qui tendrait à la renverser ne pourrait avoir que des suites funestes.
Mettez fin aux inquiétudes qui éloignent de la France un si grand nombre de citoyens, et dont l'effet contraste avec la liberté que vous voulez établir.
J'aime à croire que les Français reconnaîtront un jour l'avantage de la suppression d'ordres et d'états, tant qu'il sera question de travailler en commun au bien public ; mais je pense, en même temps, que rien ne peut détruire tout ce qui tend à rappeler à une nation l'ancienneté et la continuité des services d'une race honorée, non plus que le respect dû aux ministres d'une religion que tous les citoyens ont un égal intérêt à maintenir et à défendre.
Je ne puis vous dissimuler les pertes qu'ont faites ceux qui ont abandonné leurs privilèges pécunieux, et qui ne font plus d'ordre politique dans l'Etat : mais ils ont assez de générosité pour se trouver dédommagés, si la nation se trouve heureuse de leurs sacrifices. J'en aurais aussi beaucoup à compter, si je m'occupais de mes pertes personnelles ; mais j'y trouverai une pleine compensation quand je serai témoin du bonheur du peuple.

Trait d'humanité de Louis XVI, le Roi distribuant des aumônes aux habitants de Versailles pendant l'hiver 1784 (En février 1784, Louis XVI, se trouvant près de Versailles, visite une famille de paysans malheureux et lui donne la bourse qu'il a sur lui), huile sur toile peinte en 1785 par le peintre et graveur Philibert-Louis Debucourt (1755-1832), Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 0.615 m ; Longueur : 0,829 m. N° d'inventaire : MV7896).

Je maintiendrai la liberté constitutionnelle dont le vœu général a consacré les principes, et, de concert avec la Reine, je préparerai de bonne heure le cœur et l'esprit de mon fils au nouvel ordre de choses qui s'établit, et je l'accoutumerai, dès ses premiers ans, à être heureux du bonheur des Français.
Je ne mets pas en doute que vous ne vous occupiez d'affermir le pouvoir exécutif, sans lequel il ne peut y avoir aucune sûreté au-dedans et au-dehors, et que vous ne perdrez pas de vue que la confusion des pouvoirs dégénère bientôt dans la plus dangereuse des tyrannies.
Vous considérerez tout ce qu'exige un royaume tel que la France, par son étendue, sa population, ses  relations extérieures, et vous ne négligerez pas de fixer votre attention sur le caractère et les habitudes du peuple français, pour ne point altérer, mais entretenir, au contraire, les sentiments de douceur, de confiance et de bonté qui lui ont valu tant de renommée et de considération ; donnez-lui l'exemple de la justice qui sert de sauvegarde à la propriété, et qui est si nécessaire à l'ordre social.
Joignez-vous à moi pour empêcher les violences criminelles et les excès qui se commettent dans les provinces ; et vous, Messieurs, qui pouvez par tant de moyens influer sur la confiance publique, éclairez ce bon peuple qui m'est si cher, et dont on me dit que je suis aimé, quand on veut me consoler de mes peines. Ah ! s'il savait combien je suis malheureux quand j'apprends qu'il s'est commis quelque attentat contre les personnes et les propriétés, il m'épargnerait cette douloureuse amertume ; il est temps de faire cesser toute inquiétude, et de rendre au royaume toute la force et le crédit auquel il peut attendre.
Puisse cette journée, où votre Monarque vient s'unir à vous de la manière la plus franche et la plus intime, être un signal de paix et de rapprochement ; que ceux qui s'éloignent de cet esprit de paix et de concorde me fassent le sacrifice de tout ce qui les afflige, et je les payerai de la plus profonde reconnaissance. Ne professons tous, à compter de ce jour, qu'un seul sentiment : l'attachement à la Constitution, et le désir ardent de la paix et de la prospérité de la France.""

Source : Mémoires de la duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de France de 1789 à 1795, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1969 et 1986, p.59-62.