dimanche 19 mai 2013

Le sacrifice de don Juan, père de Juan Carlos, pour la réconcilation des adversaires de 1936 et pour la démocratie en Espagne.

 Le prince des Asturies Juan Carlos et son père don Juan, comte de Barcelone.

"Devant l'évidence des réalités tant intérieures qu'extérieures, don Juan ne pouvait que tirer les enseignements que lui dictait le leadership américain. Il ne s'agissait nullement d'un virage idéologique. Sa conception de la légitimité comme celle qu'il se faisait de la démocratie lui interdisaient toute compromission avec le régime franquiste. Mais le devoir d'un roi est de penser à l'avenir de la dynastie. Il lui faut voir loin pour voir juste. Là où les hommes politiques obéissent à une loi contingente qui efface leur action dès qu'ils ne sont plus en mesure de l'assumer, les souverains, héritiers d'une continuité immanente, gardiens d'un patrimoine qui ne leur appartient pas en propre, relèvent d'une autre loi qui les projette, s'ils sont nés, dans la perpétuation instinctive de l'Histoire. En cette matière, don Juan avait retenu la leçon de son père, de la même manière que Juan Carlos, au prix d'une messe franquiste qui vaudra bien un trône démocratique, apprendra tout du sien.
Ainsi la véritable histoire de l'actuel roi d'Espagne, loin de commencer avec son règne, puise-t-elle ses racines dans celui sacrifié de don Juan. Car nul n'aurait accordé durablement crédit au simple successeur royal de Franco si ce dernier n'avait été, aussi et surtout, investi de la légitimité à la fois dynastique et démocratique que le comte de Barcelone saura maintenir tout au long de son règne symbolique.

Le comte de Barcelone devant le portrait de son fils Juan Carlos, Roi d'Espagne.

Cette monarchie de l'ombre soudé dans une première réconciliation des adversaires de 1936 sera garante trois décennies plus tard d'une nouvelle réconciliation, exemplaire, de ces deux Espagnes, dont l'une, se désolait le poète Antonio Machado au cœur des années 1930, "glacerait toujours le cœur de l'autre"."

Source : Philippe Nourry, Juan Carlos, éd. Tallandier, Paris, 2011, p.94-95.