lundi 2 juin 2014

Le roi d'Espagne, Juan Carlos, abdique au nom du « renouveau ».

 
"Trente-neuf ans après avoir accédé au trône, le roi d'Espagne, Juan Carlos, 76 ans, a annoncé, lundi 2 juin, sa décision d'abdiquer de la couronne. L'information avait été dévoilée dans un premier temps le lundi 2 juin au matin par le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, lors d'une conférence de presse convoquée en urgence au palais de la Moncloa, à Madrid, l'équivalent de l'hôtel de Matignon (le lieu de travail du chef du gouvernement français).
Le roi s'est ensuite adressé à 13 heures, à la télévision et à la radio espagnole, pour expliquer les raisons d'une décision motivée par le besoin de « renouveau » du pays. 
Pendant sa déclaration, il a évoqué plusieurs fois une « génération nouvelle, plus jeune, avec de nouvelles énergies, qui est décidée à prendre en main avec détermination les transformations et les réformes que la conjoncture actuelle appelle, pour affronter [...] les défis de demain ».

UNE LOI AVANT LE COURONNEMENT DE FELIPE
Cette nouvelle génération est incarnée par son fils, le prince Felipe des Asturies, 46 ans, son successeur désigné au trône. Juan Carlos a évoqué un fils « qui incarne la stabilité, un des éléments-clés de l'identité de l'institution monarchique ». A propos de Felipe, le roi a ajouté qu'il avait « la maturité, la prépation et le sens des responsabilités nécessaires pour assumer en toute confiance le rôle de chef de l'Etat ».
Plus tôt, Mariano Rajoy avait, quant à lui, rendu hommage à un prince qui s'était « préparé pendant vingt ans », assurant qu'il savait qu'il serait « à la hauteur des attentes ».
Le processus d'abdication et l'accession au trône du futur souverain l'approbation d'une « loi organique » sera cependant nécessaire, a indiqué le chef du gouvernement, qui a annoncé la convocation d'un « conseil des ministres extraordinaire », qui aura lieu mardi.

UNE FIGURE DE LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE
« C'est une figure historique, étroitement liée à l'histoire espagnole, qui abdique aujourd'hui », a par ailleurs commenté Mariano Rajoy, saluant, dans une très courte allocution, « le plus grand promoteur de notre démocratie ». François Hollande, qui s'est entretenu lundi matin avec Juan Carlos, a, lui aussi, rendu hommage à l'« artisan de la transition après la dictature franquiste » qui, « durant près de trente-neuf années de règne, a incarné l'Espagne démocratique ».
Désigné comme dauphin par Francisco Franco, Juan Carlos était monté sur le trône à la mort du dictateur, en novembre 1975, bâtissant sa popularité sur sa capacité à mener la transition démocratique. Le roi s'était imposé comme le héros de ce moment de l'histoire le 23 février 1981. Dans un message télévisé resté gravé dans les mémoires, il avait ce jour-là ordonné aux officiers putschistes de la garde civile qui occupaient le Parlement de rentrer dans leurs casernes, déjouant ainsi la tentative de coup d’État menée par le lieutenant-colonel Antonio Tejero.


La fin de son règne aura cependant été marquée par une chute de popularité en raison de la multiplication d'affaires touchant la famille royale."


Source : Le Monde.fr avec AFP et Reuters | • Mis à jour le

2 juin 2014 : Abdication du Roi Juan Carlos Ier.

 
"Le Président s’est entretenu ce matin avec le Roi Juan Carlos Ier, qui lui a fait part de sa décision d’abdication.



Durant ces près de trente-neuf années de Règne, Juan Carlos a incarné l’Espagne démocratique, à la naissance de laquelle il a pris une part déterminante. Artisan de la Transition après la dictature franquiste, il a mené son pays sur le chemin des libertés civiles et politiques, de l’intégration européenne et de la modernité."

Source : http://www.elysee.fr/communiques-de-presse/article/abdication-du-roi-juan-carlos-ier/  (lundi 2 juin 2014).



dimanche 11 mai 2014

Le groupe représentant le Prince impérail et son chien Néro par le sculpteur Carpeaux.

Buste du jeune Prince impérial, d'après Jean-Baptiste Carpeaux (n° d'inventaire : 2010.0.673. Musée du château de Blois).


"Le printemps de 1865 va laisser au Prince un souvenir exceptionnel. Tandis que Napoléon III effectue seul, en Algérie, un voyage que l'opinion qualifiera, à juste titre, de "conquête pacifique", tant l'accueil des tribus ralliées est enthousiaste et chaleureux, l'Impératrice exerce une nouvelle fois la régence. Désireuse de faire à l'Empereur une surprise pour son retour, elle commande à Carpeaux la statue du Prince. Presque quadragénaire, le sculpteur a conquis, péniblement, une gloire très méritée.
L'Impératrice l'a invité à Compiègne pour une des séries de 1864, au cours de laquelle il a vainement essayé d'obtenir d'elle quelques séances de pose. Rageur, il s'est écrié : "Mais pourquoi donc m'a-t-on fait venir ici ?" et il a griffonné des croquis rapides de la souveraine sur des morceaux de papier qu'il tirait de ses poches, chaque fois qu'il le pouvait, même à table, durant les repas, dans la salle à manger impériale. Quelques mois après, dans l'orangerie du bord de l'eau où Louis vient chaque jour poser pendant deux heures, l'artiste, en pleine possession de son talent, s'attaque à la statue avec une fougue passionnée. Après un buste nu, saisissant de vérité et de vie, qu'il modèle à titre d'ébauche, il conçoit le groupe charmant du Prince avec son chien. Les premiers témoignages d'estime et d'admiration qu'il reçoit le comblent. "L'Impératrice est venue hier me visiter avec une suite nombreuse, écrit-il à son ami Chérier, mon succès est définitif et les bravos m'ont rempli de joie." Et quelques jours plus tard, encore : "L'Impératrice est enchantée du buste du Prince et de la statue... J'en pleure de joie."
Durant les séances de pose, la curiosité naturelle de Louis l'amène à questionner Carpeaux sur son art. Il n'a de cesse qu'on lui mette entre les mains de la terre glaise qu'il puisse travailler lui-même. "Votre favori le Prince impérial, écrit Mérimée à Panizzi, que vous ne reconnaîtriez pas, tant il est grandi et formé, a les dispositions les plus extraordinaire pour la sculpture. Un artiste nommé Carpeaux qui a beaucoup de talent a fait son portrait ; lorsque le Prince l'a vu pétrir de la terre glaise, il a naturellement eu envie de mettre la main à la pâte, et a fait un portrait de son père, qui est atrocement ressemblant ; mais bien que ce soit gâché comme un bonhomme en mie de pain, l'observation des proportions est extraordinaire... Mais le plus extraordinaire c'est le portrait de son précepteur, M. Monnier, que vous aimez tant. Je vous jure que vous le reconnaîtriez d'un bout de la cour du British Museum à l'autre. Ce ne sont pas seulement ses traits, c'est même son expression. Tout le génie de l'homme se révèle dans ses yeux, son nez et ses moustaches. Je suis sûr qu'il y a peu de sculpteurs de profession qui pourraient en faire autant." "Quel dommage, dira de son côté la princesse de Metternich, s'il n'avait pas un père empereur, ce petit aurait pu devenir quelque chose."

Le Prince Impérial et son chien Néro, épreuve en plâtre de Jean-Baptiste Carpeaux
(n° d'inventaire : S.90.117. Musée des Beaux-Arts de Valenciennes).


Carpeaux à représenté le Prince dans son costume habituel de velours, culottes bouffantes, petite veste droite ouvrant sur un gilet, cravate nouée négligemment, tenant par le cou son braque Nero qui lève vers son jeune maître un museau attentif, dans une attitude de confiance et d'abandon. Exposée au Salon de 1866, l'épreuve en plâtre recueille tous les suffrages, tant du public que de la critique, unanime à louer cette réussite d'élégance et de simplicité.
Tandis que Carpeaux exécute une copie du groupe en marbre, des reproductions de taille réduite, en bronze, sont fondues sous sa direction, notamment par le célèbre Barbedienne, et la Manufacture impériale de Sèvres en édite un petit modèle en biscuit qui aura beaucoup de succès. L'administration républicaine, longtemps après la chute de l'Empire, continuera à le vendre en le baptisant hypocritement "L'enfant au chien"."

Source : Jean-Claude Lachnitt, Le Prince impérial "Napoléon IV", éd. Perrin, 1997, p.80-82.

jeudi 24 avril 2014

Napoléon III : un pouvoir personnel pour de grands travaux afin de donner du travail et accroître le bien-être des masses.

Napoléon III à Compiègne, du photographe comte Olympe Aguado (1827-1894).
Épreuve sur papier albuminé conservée au château de Compiègne (n° d'inventaire : C50.022).

"La solidité de l'Empire ne peut se comprendre sans la rénovation de larges secteurs de l'économie nationale, par la construction d'un réseau de chemins de fer, et sans la révolution dans l'urbanisme des grandes cités. Napoléon avait lu les saint-simoniens. Il avait vécu en Angleterre. Surtout, il était convaincu qu'un pouvoir personnel devait susciter de grands travaux qui donneraient du travail et finalement accroîtraient le bien-être des masses sur la fidélité desquelles se fondaient le régime.
L'exemple anglais lui avait montré qu'il n'était plus possible, dans une civilisation où les échanges se multipliaient, de maintenir le régime douanier étroitement protectionniste qui était celui de la France depuis la Révolution. Il était résolu à affronter à sa manière, d'abord prudente, puis résolue, la résistance désespérée des industriels qui vivaient à l'abri de ce protectionnisme. Ainsi s'élargirait le cadre d'une économie où des transports plus rapides, plus massifs, feraient circuler les produits à longue distance. Il attendait de cette révolution économique une vie à bon marché, objet essentiel de ses espoirs.
De même, il projetait de transformer les villes et surtout Paris, capitale de l'Empire, dont il voulait faire la plus belle ville du monde, une véritable capitale morale du continent européen. Pour cela, il fallait non seulement construire de somptueux édifices, mais changer l'habitat en donnant à une agglomération repliée sur ses vieux quartiers comme une ville d'0rient l'air, la lumière, l'eau. Il rêvait de maisons ouvrières modernes, hygiéniques, à des prix en rapport avec les salaires. Ainsi reculeraient les épidémies qui restaient un des fléaux de la civilisation occidentale. Enfin, l'Empereur voulait agir vite pour montrer l'efficacité de son gouvernement, frapper les esprits au spectacle de véritables miracles."

Source : Louis Girard, Napoléon III, éd. Fayard, coll. Pluriel, Paris, 2002, p. 236-237.

dimanche 9 mars 2014

Napoléon III vu par Louis Pasteur et Emile Zola.

Portrait de Napoléon III (titre attribué), par Gustave Le Gray (1820-1884). Positif monochrome sur support papier de 1857
(n° d'inventaire : RESERVE EO-13 (1)-PET FOL. H. : 19,8 cm ; L. : 15,2 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France - BNF).

"Le 5 septembre 1870, au lendemain de la proclamation du Gouvernement provisoire, quelques heures à peine après cette journée que les plaques de nos rues, de nos avenues et de nos placent célèbrent à jamais, Louis Pasteur, le grand Louis Pasteur, celui dont nos manuels n'évoquent la gloire que dans le chapitre qui suit immédiatement celui du second Empire, a le courage et la lucidité d'écrire ces quelques lignes au maréchal Vaillant :
"Je me souviendrai éternellement des bontés de l'Empereur et de l'Impératrice et je resterai jusqu'à mon dernier jour fidèle à leur mémoire... Malgré les vaines et stupides clameurs de la rue et toutes les lâches défaillances de ces derniers temps, l'Empereur peut attendre avec confiance le jugement de la postérité : son règne restera l'un des plus glorieux de notre Histoire."

Louis Pasteur (1822-1895), scientifique français, pionnier de la microbiologie, inventeur du vaccin contre la rage, lithographie
(n° d'inventaire : Po.1302. H. : 19 cm ; L. : 23 cm.
Paris, Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN), bibliothèque centrale. Achat Prouté : novembre 1954).

Et après lui, laissons parler Émile Zola, celui de J'accuse :
"A vingt ans, en plein Empire, je tenais le neveu du grand Napoléon pour le bandit, le "voleur de nuit" qui, selon l'expression célèbre, avait allumé sa lanterne au soleil d'Austerlitz. Dame, j'avais grandi au roulement des foudres de Victor Hugo : Napoléon le Petit était pour moi un livre d'histoire d'une vérité absolue... Je le voyais l'oeil terne, furtif, les traits pâlis, à travers cette rhétorique hennissante, écumante, géniale.
Mais j'en suis revenu depuis.

Emile Zola, écrivain, par l'atelier de Nadar (1871-1939). Négatif monochrome sur support verre
réalisé vers le 18 février 1885 (n° d'inventaire : NA23701376G. Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine).

Car, au fait, le Napoléon III des Châtiments, c'est un croquemitaine sorti tout botté et tout éperonné de l'imagination de Victor Hugo. Rien n'est moins ressemblant que ce portrait : sorte de statue de bronze et de boue élevée par le poète pour servir de cible à ses traits acérés, disons le mot, à ses crachats. Non l'Empereur : un brave homme, hanté de rêves généreux, incapable d'une action méchante, très sincère dans l'inébranlable conviction qui le porte à travers les événements de sa vie qui est celle d'un homme prédestiné, à la mission absolument déterminée, inéluctable, l"héritier du nom de Napoléon et de ses destinées. Toute sa force vient de là, de ce sentiment des devoirs qui lui incombent..."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p. 429-430.

dimanche 2 mars 2014

Extrait du testament de Napoléon III, rédigé le 24 avril 1865.


Sa Majesté l'empereur distribuant des secours aux inondés de Lyon, huile sur toile du peintre Hippolyte Lazerges (1817-1887) en 1857
(n° d'inventaire : C.84-D.18 et INV.20559. H. : 301 cm ; L. : 205 cm. Château de Compiègne).

Napoléon III confie à son fils : "Le pouvoir est un lourd fardeau parce que l'on ne peut pas toujours faire le bien qu'on voudrait et que vos contemporains vous rendent rarement justice ; aussi faut-il pour accomplir sa mission, avoir en soi la foi et la conscience de son devoir."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p. 339.

vendredi 28 février 2014

Une décisive impulsion a été donnée par Louis Napoléon à la France : il l'a fait changer de siècle.

Louis-Napoléon-Bonaparte (1808-1873), président de la République, 1848-1852, sculpture en bronze
(n° d'inventaire : RF3681. H. : 96 cm ; L. : 57 cm ; l. : 43,3cm. Dépôt de l'Etat, 1984 ; Paris, musée d'Orsay).

"Tout le monde connaît, car on en parle sans cesse, les libertés que [Louis Napoléon] limita ; tout le monde oublie, car on omet souvent de le rapporter, qu'elles furent, le moment venu, rendues au peuple et notablement amplifiées. En 1870, au chapitre des droits fondamentaux, individuels et collectifs, il n'y a pas lieu d'écrire que la France a été délivrée  d'un tortionnaire. [...]
En tout cas, les progrès accomplis dans le domaine des droits sociaux sont indiscutables : droit de grève, droit de réunion, liberté syndicale de fait, abolition de dispositions anti-ouvrières dont nul ne s'était vraiment soucié jusque-là. L'esquisse d'une protection sociale a été dessinée, ou du moins sa nécessité reconnue. L'enseignement public a été amélioré et étendu. Surtout, la France s'est profondément et durablement modernisée.
Une décisive impulsion a été donnée par Louis Napoléon à la France. Il l'a fait changer de siècle. Aujourd'hui encore, nous vivons dans un cadre qu'il a conçu, voulu et créé et qu'il nous a légué.
Peu de chefs d’État dans l'Histoire ont laissé un tel héritage. Rarement, jamais sans doute, la France n'aura fait autant de progrès en si peu de temps.
Quand on mesure la puissance de notre pays en 1870, on enrage vraiment à la pensée de la défaite. Sedan est un scandale. Car la France n'est pas battue sur ce qu'elle est, c'est-à-dire un pays autrement plus avancé, autrement plus riche, autrement plus puissant que la Prusse."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.332.

Une critique des "plus stupides" sur les travaux haussmannien.

Le baron Haussmann (1809-1891), daguerréotype daté vers 1850 de Désiré François Millet
(n° d'inventaire : PHO1984-89. H. : 14,5 cm ; L. 10,5. Paris, musée d'Orsay).

Les travaux d'aménagement durant le second Empire entrepris par Napoléon III et le baron Haussmann sont "une œuvre immense. Que valent les critiques qui [leurs] ont été adressées ?
Nul besoin de s'étendre sur les plus stupides d'entre elles. En particulier celle qui traîne partout et selon laquelle ces grandes percées rectilignes répondaient exclusivement à des arrières-pensées stratégiques, permettant au pouvoir de réprimer au canon des émeutes du type de celles qui avaient emporté déjà deux régimes. De telles assertions ont la vie dure. Pourtant, dans ce Paris transformé - on n'allait pas manquer de s'en apercevoir - la possibilité existe encore de faire la révolution."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.328.

dimanche 16 février 2014

Les partis politiques et la légitimité vus par Louis Napoléon Bonaparte et par Charles de Gaulle (1890-1970).

Le fronton du pavillon Denon sculpture de Pierre Charles Simart, décor du palais du Louvre, Paris, entre 1855 et 1857.
Épreuve sur papier albuminé d’Édouard Baldus (1813-1889) conservée au musée d'Orsay à Paris
(n° d'inventaire : PHO1998-2-62. H. : 9,3 cm ; L. : 38,5 cm. 1998, don de Mme Jacques Fildier, en souvenir de Mme Reine-Suzanne Dufournier).


"Dans une lettre à Armand Laity, par laquelle il autorise celui-ci à publier sa Relation historique des événements du 30 octobre 1836, Louis Napoléon écrit : "On vous demandera [...] où est le parti napoléonien ? Répondez : le parti est nulle part et la cause partout. Ce parti n'est nulle part parce que mes amis ne sont pas enrégimentés, mais la cause a des partisans partout, depuis l'atelier de l'ouvrier, jusque dans le conseil du roi, depuis la caserne du soldat jusqu'au palais du Maréchal de France."
Cela revient à dire que la cause est nationale, et que la création d'un parti est formellement interdite. Et si un jour un groupe - un rassemblement - devait se constituer, il ne serait en aucun cas un parti comme les autres. Comment donc ne pas discerner, déjà, de multiples correspondances entre la pensée de Louis Napoléon et celle de Charles de Gaulle ?
La théorie de la légitimité, les dangers du système des partis, la nécessité de dépasser, au nom de l'intérêt national, leurs jeux et oppositions factices, tout cela est d'une évidente similitude.
Pour l'un comme pour l'autre, il faut un chef d’État qui en soit un, qui incarne l'autorité de l’État, et qui dispose de la maîtrise du pouvoir exécutif. Afin de fonder cette autorité sur une base démocratique, le chef de l’État doit être élu par le peuple et ne peut être privé du droit de s'adresser à lui comme il l'entend. Se crée alors un lien particulier, personnel, essentiel, entre le peuple et celui qu'il a choisi pour le guider, lien qui s'appelle la légitimité. Dans cet esprit, le plébiscite, pour l'un, le référendum, pour l'autre, servent à renouveler l'investiture populaire du chef de l’État : chaque fois que la confiance du suffrage universel semble ébranlée du fait des circonstances, ce renouvellement permet d'éviter une crise politique ou de prendre en compte le caractère exceptionnel de l'enjeu auquel le pays peut se trouver confronté.

Louis Napoléon Bonaparte, élu Président de la République Française, prêtant serment à la Constitution. (20 Décembre 1848).
Estampes de 1848 par le lithographe Raunheim Cossmann, conservée à Paris, à la Bibliothèque nationale de France (BnF)
sous le n° d'inventaire : QB-1 (1848-12).


Comme l'écrit Francis Choisel dans sa remarquable étude sur Bonapartisme et Gaullisme : "Le plébiscite bonapartiste et le référendum gaulliste sont par conséquent un tout, où la réponse à la stricte question posée intègre l'acte d'adhésion à l'homme qui la formule et au régime que ce dernier incarne, la ratification de son action passée et la confiance en ce qu'il fera demain."
Pour Louis Napoléon comme pour de Gaulle, le peuple est le juge suprême et, plus encore, la source de tout pouvoir. C'est une idée que les deux hommes expriment avec les mêmes mots.
Louis Napoléon proclame dans le préambule de la Constitution de 1852 que "[...] le peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté." Et comme en écho de Gaulle répond : "C'est un principe de base de la Ve République et de ma propre doctrine que le peuple français doit trancher lui-même ce qui est essentiel à son destin."
Et d'ajouter : "Il fallait que le peuple eût à s'associer directement, par voie de référendum, aux décisions capitales qui engageraient son destin."

Le général de Gaulle (1890-1970), épreuve argentique du photographe Fayer installé à Londres
(n° d'inventaire : 2001.83.1. H. : 36,8 cm ; L. : 26,2 cm. Paris, musée de l'Armée).

Cette voie, en tout cas, n'est pas si facile à emprunter et à suivre. Se dresse sur la route, on l'a vu, un obstacle majeur : les partis, avec les divisions qu'ils impliquent. Louis Napoléon et de Gaulle, là encore, trouvent les mêmes accents pour les dénoncer et les combattre, l'un dans ses Rêveries politiques, l'autre dans ses Mémoires de guerre :
"Au-dessus des convictions partielles, écrit Louis Napoléon, il y a un juge suprême qui est le peuple. C'est à lui de décider son sort, c'est à lui de mettre d'accord  tous les partis, à empêcher la guerre civile et à proclamer hautement et librement sa volonté suprême. Voilà le point où doivent se rencontrer tous les bons Français, de quelque parti qu'ils soient, tous ceux qui veulent le bonheur de la patrie, non le triomphe de leur doctrine."
Évoquant les oppositions qu'il a rencontrées, de Gaulle ne dit pas autre chose : "La perspective d'un appel à la décision direct du pays paraissait à toutes les fractions politiques scandaleuses. Rien ne montrait plus clairement à quelles déformations du sens démocratique menait l'esprit des partis. Pour eux, la République devait être leur propriété, et le peuple n'existait, en tant que souverain, que pour déléguer ses droits et jusqu'à son libre arbitre aux hommes qu'ils lui désignaient."
Rien d'étonnant donc de relever maintes analogies dans la pratique institutionnelle des deux hommes : même propension à reconnaître la supériorité du référendum, du plébiscite ou de l'élection présidentielle sur l'élection législative, même impatience devant les tentatives d'immixtion des Chambres dans la conduite des affaires, tentatives qui ne peuvent à leurs yeux qu'entraver l'action du gouvernement...
Et Francis Choisel peut ainsi conclure : "Il y a par conséquent entre le gaullisme et le bonapartisme une double identité en matière constitutionnelle : d'une part la communauté de sentiment quant aux grandes lignes des mécanismes d'exercice du pouvoir et que l'on peut qualifier de plébiscitaire [...] et bicaméral ; d'autre part, un accord sur la solution de compromis qu'il est nécessaire d'admettre face aux tenants inconditionnels du régime d'assemblée, à savoir un système semi-parlementaire tempérant les dispositions plébiscitaires [...]. La seule différence d'importance réside dans le fait que ce compromis fut un point d'arrivée, en parie contraint, pour Napoléon III et une base de départ, elle-même en partie subie, pour de Gaulle."
Ces nombreuses similitudes, le général de Gaulle ne les a jamais formellement reconnues, pas plus qu'il n'a admis de considérer Louis Napoléon comme un précurseur. Certes, il s'agit plutôt d'une communauté d'inspiration que d'une filiation. Mais la prudence gaullienne est tout à fait compréhensible : la cote de Louis Napoléon étant au plus bas dans notre pays, la moindre référence au second Empire pouvait s'avérer assassine."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.63-65.

Louis Napoléon Bonaparte (1808-1873) sera le premier président de la République française.

Château de Compiègne : Buste de Napoléon III, épreuve numérique du  photographe Jean-Baptiste Leroux
(né en 1949 ; collection Jean-Baptiste Leroux, Paris).

"Un exilé qui connaît à peine la France et que les Français ne connaissent guère mieux ; un doux rêveur, un imprévisible hurluberlu qui s'est ridiculisé dans deux ou trois équipées dont on a surtout retenu les aspects dérisoires, même si elles ont pu lui valoir quelques rares sympathies ; un prétendant aux visées d'autant plus anachroniques qu'on est en plein triomphe de la République ; un homme seul, sans l'appui ne fût-ce que de l'ébauche d'un parti organisé ou du moindre comité de soutien, au point que le préfet de police qui, dans son rapport de synthèse sur les opposants et agitateurs de toutes obédiences, s'en voudrait d'oublier les plus marginaux, ne dit pourtant pas un mot des bonapartistes ; tel est l'homme qui va débarquer en France à la fin de février 1848, avec la folle et incroyable prétention de faire sa conquête.
Neuf mois et quelques jours plus tard, cet exilé, cet hurluberlu, ce prétendant anachronique, cet homme seul, sera le premier président de la République française.
On conviendra que l'exploit est prodigieux. Et que, pour le réussir, il ne suffit pas, comme certains ont pu longtemps le soutenir, d'arborer un grand nom : si cela était, l'affaire aurait été conclue depuis longtemps. Il y fallait de surcroît un sens politique, une intelligence, une habileté hors du commun.
Car ce combat insensé, Louis Napoléon va le remporter à la loyale, avec ses seuls armes."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.95.

lundi 10 février 2014

La princesse Mathilde (1820-1904) résume la politique en quelques mots.

La Princesse Mathilde dans son atelier, Sébastien Charles Giraud (1819-1892), huile sur toile conservée au château de Compiègne
(n° d'inventaire : C55.081. H. : 50 cm ; L. : 150cm).


"A Dumas fils, la princesse Mathilde avoue :
- La politique ? Je ne m'en occupe pas. Je ne sais rien qui vaille et, en somme, cela se résume toujours à ceci : "Ôte-toi de là que je m'y mette !"

Source : Jean des Cars, La Princesse Mathilde, éd. Perrin, 1996, p.443.

IIIe République : Le septennat est inventé, la République est réellement fondée à... une voix de majorité !

 Henri Wallon (1812-1904)

"Progressivement, utilisant les divisions et les incohérences des prétendants, [qui sont le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, et le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe,] les républicains marquent des points. Au début de 1875, l'Assemblée vote ce qu'on appelle, improprement, la "Constitution de 1875". C'est le député Henri Wallon qui est l'auteur du célèbre amendement disposant que le président de la République "est nommé pour sept ans ; il est rééligible". Le septennat est inventé, la République est réellement fondée à... une voix de majorité ! Le scrutin a donné, en effet, un étrange résultat : 353 voix pour, 352 contre. Mais une voix suffit pour écrire l'Histoire ; on l'avait vu lors du procès de Louis XVI.
A la princesse [Mathilde] qui suit l'accouchement républicain, Gustave Flaubert écrit, soulagé par la perspective de paix : "Nous n'aurons pas de monarque, Dieu merci, c'est-à-dire qu'on ne brûlera pas les églises et qu'on ne tuera pas les pauvres curés."
Chez les Bonaparte, l'union devait être la règle. Hélas, ils souffrent, comme les monarchistes, de dissensions internes."

Source : Jean des Cars, La Princesse Mathilde, éd. Perrin, 1996, p.441-442.

Napoléon III avait poussé très loin un projet de retour en France en 1873.

Napoléon III et le prince impérial sur ses genoux, huile sur toile conservée au château de Compiègne
(n° d'inventaire : C49.111).

"Le 9 janvier 1873. L'aménagement de l'hôtel de la rue de Berri est achevé et Mathilde [cousine de Napoléon III car fille du roi Jérôme, frère de Napoléon Ier] qui s'est agrandie réside maintenant au n° 20. Dans la soirée, la princesse, qui a regagné ses appartements du premier étage, reçoit une dépêche. Le télégramme vient d'Angleterre. Il contient l'annonce de la mort, brutale, de Napoléon III. L'empereur est décédé une heure avant une opération de la vessie, troisième intervention après les deux qu'il avait subies en huit jours. A son médecin, il avait posé, dans un murmure, cette ultime question qui l'obsédait :
- N'est-ce pas, Conneau, que nous n'avons pas été lâches à Sedan ?
La princesse suspend immédiatement toute vie mondaine et prend le deuil avec une dignité qui en impose même aux adversaires de l'Empire. Si elle n'avait pas toujours cautionné ce que décidait on cousin, elle tient à honorer sa mémoire et à réhabiliter son œuvre.
[...]

La princesse Mathilde, par Pierre François Eugène Giraud (1806-1881), pastel de 1861
(n° d'inventaire : C.28-D.20. H. : 127 cm ; L. : 95 cm, château de Compiègne, dépôt du musée de Versailles).

Mathilde apprend que Napoléon III avait poussé très loin un projet de retour en France. Encore ! L'affaire était prévue pour l'été en passant par Genève, Cologne et Bâle. A Lyon, Bourbaki devait soulever la garnison. Seul l'état de santé de l'ex-empereur avait retardé la mise en pratique de ce retour d'exil. Pour conquérir la France, il lui aurait fallu paraître à cheval et pour se tenir en selle, il lui fallait subir d'éprouvantes opérations chirurgicales. A ceux qui formulaient d'autres objections, l'ancien souverain avait rétorqué :
- Ce qui peut m'arriver de pire, c'est d'être fusillé ; cela vaut mieux que de mourir en exil et dans son lit.
Cette gloire lui avait été refusée et Mathilde ne cessera d'y songer pendant le long deuil qu'elle portera un an ; un véritable deuil de cour."

Source : Jean des Cars, La Princesse Mathilde, éd. Perrin, 1996, p.436-438.


mardi 28 janvier 2014

L'Impératrice Eugénie (1826-1920) : une Espagnole à la beauté triomphante et au regard mélancolique.

L'Impératrice Eugénie à Biarritz, par E. Defonds.
Huile sur toile conservée au château de Compiègne (n° d'inventaire : C.48029).

"Une Espagnole à la beauté triomphante et au regard mélancolique va être l'instrument du destin. Elle est née à Grenade le jour d'un tremblement de terre et toutes les diseuses de bonne aventure ont lu dans sa main les signes d'une vie exceptionnelle. A seulement la regarder, on le devinerait. Blonde, d'un blond tirant sur le roux, un long col, des yeux bleus un peu tristes, un visage d'un ovale parfait, un maintien réservé, elle possède toutes les qualités pour s'imposer comme l'une des plus belles femmes de la cour de Napoléon III. Eugénie est de plus une cavalière hors pair. C'est cette belle prestance d'amazone qui, dit-on, attira sur elle l'attention de Louis-Napoléon, lui-même excellent cavalier, lors d'une revue à Satory. N'eussent été ces qualités, elle avait encore d'autres raisons de plaire à l'empereur, notamment ses origines. Son père, le colonel Portocarrero, futur comte de Montijo, fervent bonapartiste, avait perdu un œil et une partie de sa fortune au service de Napoléon.

L'Impératrice Eugénie, photographie anonyme
conservée au musée franco-américain du château de Blérancourt, à Blérancourt (n° d'inventaire : MNB60c45).

Un séjour à Compiègne devait transformer cette inclination en véritablement attachement. Un matin, au cours d'une promenade dans les jardins avec Louis-Napoléon, Eugénie découvrit une merveilleuse feuille de trèfle couverte de gouttes de rosée devant laquelle elle s'extasia. Le prince fit réaliser en secret par un joaillier un bijou représentant ce trèfle en émeraude : sur chaque feuille était incrusté un diamant. Le lendemain soir, à la faveur d'une loterie subtilement arrangée, Eugénie reçut le bijou. Ce signe de faveur ne trompa personne. Dès lors les intrigues se déchaînèrent entre partisans et adversaires du mariage de Louis-Napoléon avec la belle Andalouse.
Depuis le plébiscite, il était évident que le nouvel empereur devait se marier. Sa liaison avec une séduisante Anglaise, Miss Howard, qui avait en partie financé le coup d’État, était critiquée par son entourage. Mais si tout le monde se prononçait en faveur d'un mariage, des divergences se faisaient jour sur la nature de l'union que devait contracter le souverain. Devait-il choisir son épouse dans les familles royales européennes ou bien faire un mariage selon son inclination ? Eugénie entrait dans la seconde catégorie. On se partagea aussitôt en deux camps : le premier en faveur de l'union avec un princesse royale comptait Persigny, Drouyn de Lhuys, Saint-Arnaud, la famille Bonaparte ; Morny se trouvait à la tête des partisans d'Eugénie qu'on appelait "le clan des chevaliers français et des amoureux" et qui comprenait Fould et le colonel Fleury.
Eugénie n'était pas une inconnue pour Morny. Il l'avait rencontrée chez son tuteur, Gabriel Delessert. Eugénie était la meilleure amie de la comtesse de Nadaillac, fille de Delessert.

L'impératrice Eugénie agenouillée sur un prie-Dieu dans le salon du palais de Saint-Cloud, en 1856, par Gustave Le Gray (1820-1884).
Épreuve sur papier salé conservée au château de Compiègne (n° d'inventaire : C71.153. H. : 22,3 cm ; L. : 29,7 cm).

A la cour, on cherchait à interpréter les signes qui pouvaient présager du choix de Louis-Napoléon. Les méchantes langues murmuraient qu'il se contenterait d'en faire sa maîtresse. Pour Eugénie, il n'en était pas question.Deux anecdotes - sans doute passablement apocryphes - illustrent sa résolution. L'Empereur, arrivant à cheval devant les Tuileries et la voyant à une fenêtre, lui aurait demandé : "Quelle est, mademoiselle, le chemin qu'il faut prendre pour arriver jusqu'à vous ?" A quoi la jeune fille, désignant une direction sur sa droite, aurait répondu : "Sire, par la chapelle." Une autre fois, à Compiègne, alors qu'au cours d'une partie d'une partie de cartes elle lui demandait conseil, il lui répondit : "Tenez-vous-en au point ; il est très beau. - Non, lui répliqua-t-elle, je veux tout ou rien."

L'impératrice Eugénie et le Prince impérial, épreuve sur papier albuminé d'Emmanuel Flamant
(n° d'inventaire : MNEH1997-4-1176H. : 9,2 cm ; H. : 5,7 cm. Paris, musée Ernest Hébert).

Un jour, qu'elle se plaignait à l'empereur des tracasseries et des humiliations qu'on lui faisait subir à la cour, il arracha quelques feuillages et lui tressa une couronne qu'il posa sur sa tête. "En attendant l'autre", dit-il.
Et le 22 janvier 1853, il annonça officiellement aux Tuileries devant les bureaux du Corps législatif, du Sénat et du Conseil d’État, sa décision de l'épouser : "Sans témoigner de dédain pour personne, je cède à mon penchant, mais après avoir consulté ma raison et mes convictions. En plaçant l'indépendance, les qualités du cœur, le bonheur de la famille au-dessus des préjugés dynastiques, je ne serai pas moins fort puisque je serai plus libre."
Persigny employa toutes sortes d'arguments pour tenter de faire revenir l'empereur sur son projet. A bout de ressources, il alla même jusqu'à se confier à Morny. Mais celui-ci lui adressa une lettre dans laquelle il réitérait ses raisons en faveur de l'union avec Eugénie : "Encore s'il s'agissait de la fille de la reine d'Angleterre ou de celle de l'empereur de Russie, je serais peut-être de votre avis ; mais s'il faut traîner deux ans pour obtenir misérablement la main d'une princesse de dernier ordre (...) j'aime mieux cent fois une jolie amoureuse, bien placée sur une noble et belle fille, que le misérable mariage allemand officiel, laid, sans excuse qui nous est réservé."
Le mariage eut lieu le 30 janvier à Notre-Dame. Le clan des amoureux avait gagné, Morny en tête. Revenu en faveur auprès de Louis-Napoléon, il pouvait désormais compter sur le soutien de l'Impératrice. Un an allait suffire pour retrouver le pouvoir. La disgrâce de Persigny s'inscrivait dans l'ordre des choses."

Source : Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir, éd. Gallimard, coll. nrf, 1995, p.176-179.

Le duc de Morny et Sarah Bernhardt (1844-1923).

Duc de Morny (1811-65), député du Puy de Dôme 
(épreuve sur papier albuminé, n° d'inventaire : Pho1995-29-554. H. : 8,6 cm ; L. : 5,2 cm.
Collection Maurice Levert, Paris, musée d'Orsay).
 
"Morny fut également le protecteur des soeurs Bernard, Julie et Rosine, deux demi-mondaines très belles. Ce fut lui qui conseilla à la jeune Rosine, la fille de Julie, qui dans une crise de mysticisme voulait prendre le voile, de choisir la carrière théâtrale. Il intervint avec succès auprès d'Auber, le secrétaire général du Conservatoire, pour qu'elle y fût admise. Elle choisit alors d'orthographier son nom Bernhardt et de se prénommer Sarah."

Sarah Bernhardt, photoglyptie de la tragédienne vers 1891 par le photographe Joseph Tourtin (1825-après 1870).
Ce portrait est conservé à Paris, au musée d'Orsay
(n° d'inventaire : PHO1983-165-508-6. H. : 11,2 cm ; L. : 8,7 cm. Don de la Fondation Kodak-Pathé, 1983).


Source : Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir, éd. Gallimard, coll. nrf, 1995, p.207.

dimanche 26 janvier 2014

Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873) semble d'abord s'accommoder de la République.

Portrait de Napoléon III en costume anglais, huile sur toile de Franz Xaver Winterhalter (1806-1873),
conservée au château de Compiègne (n° d'inventaire : MMPO1288 ; H. : 140 cm).

"Le régime s'oriente peu à peu vers l'Empire. Louis-Napoléon semble d'abord s'accommoder de la République. Il hésite à franchir le pas. Persigny ne cesse de lui vanter les avantages du régime impérial et met tout en œuvre pour lui arracher la décision. Il confie à son ami Falloux : "Je le ferai empereur malgré lui ; je le ferai assourdir de tels cris de "Vive l'empereur !" qu'il lui faudra bien se rendre." A la faveur d'un voyage officiel du Président dans les régions du centre et du midi, Persigny suscite une véritable campagne en faveur de l'Empereur. Partout le Président est accueilli avec des drapeaux et les cris de "Vive l'empereur ! Vive Napoléon III !" Ces exclamations répérées finissent par avoir raison des réticences de Louis-Napoléon. A la fin de son voyage, à Bordeaux, il s'exclame dans un discours : "Certaines personnes disent : l'Empire c'est la guerre, moi je dis : l'Empire c'est la paix." Cinq semaines après son retour, le pays est consulté par plébiscite : sept millions  huit cent mille suffrages se prononcent pour l'Empire contre deux cent cinquante mille ; il y eu deux millions d'abstentions."

Source : Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir, éd. Gallimard, coll. nrf, 1995, p.175.

Charles de Morny (1811-1865) met en oeuvre ses idées sur la modernisation du pays avec l'aide des frères Emile (1800-1875) et Isaac Pereire (1806-1880).

Portrait en buste du duc de Morny, par Henri Frédéric Iselin (1825-1905).
Marbre conservé au château de Compiègne (n° d'inventaire : IMP.17 ; H. : 84 cm).

"Morny veut s'enrichir mais aussi mettre en œuvre ses idées sur la modernisation du pays. En réalité il veut accompagner la prospérité de la France ; il s'est notamment mis en tête de développer les lignes du télégraphe électrique. Il a compris que ce moyen rapide d'information sera très utile à l'essor de l'industrialisation et du commerce. Mais ce sont les chemins de fer qui vont lui permettre d'illustrer sa conception des liens étroits qui peuvent se nouer entre intérêts publics et intérêts privés. Il va participer à leur développement en en tirant le plus grand profit personnel. Il a partie liée avec les frères Pereire fondateurs du Crédit mobilier, au centre des grandes manœuvres industrielles et des spéculations. Cette banque va en effet être l'outil privilégié du nouveau régime. C'est elle qui se chargera de financer l'extension du réseau ferré et encouragera toutes les industries qui en dépendent. Les frères Pereire justifiaient ainsi la création la création du nouvel organisme financier : "Il faut travailler au développement de l'industrie nationale, faciliter la création et l'exercice des grands entreprises, s'intéresser aux affaires en cours déjà fondées par l'acquisition de leurs actions ou par la souscription de leurs obligations, s'attacher de préférence aux entreprises qui présenteraient un caractère d'utilité publique. Dans les temps prospères, la société doit être un guide pour les capitaux empressés de trouver un emploi productif ; dans les temps difficiles, elle peut offrir des ressources précieuses pour maintenir le travail et modérer les crises qui sont le résultat d'un brusque resserrement de capitaux." Un projet, on le voit, teinté de cet idéalisme saint-simonien dont les frères Pereire avaient subi l'influence.
La banque, qui entre en rivalité avec les Rothschild, va étendre son influence de manière considérable. Elle ne tardera pas à contrôler de nombreuses sociétés de chemin de fer à l'étranger, aussi bien en Espagne qu'en Russie ou en Autriche.

Émile Pereire, créateur et directeur du chemin de fer Paris-Saint-Germain-en-Laye 
(négatif monochrome sur support verre. Atelier de Nadar. N° d'inventaire : NA23700403G.
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine),
et,
Isaac Pereire 
(négatif monochrome sur support verre. Atelier de Nadar. N° d'inventaire : NA23700406G.
Charenton-le-Pont, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine).
 
Morny siège dans de nombreux conseil d'administration de sociétés ferroviaires. Vice-président du conseil de surveillance de la société Paris-Orléans, actionnaire de Lyon-Avignon, il est président de l'association des magnats du chemin de fer. Il souhaite bien s'étendre sûr étendre le réseau ferré en Auvergne. Pour favoriser cette entreprise, le Crédit mobilier avec le renfort de capitaux anglais va créer la Compagnie du chemin de fer grand central de France. Le conseil d'administration est bien entendu présidé par Morny. Les actions du Grand Central connaissent un succès inouï. Près de neuf cents kilomètres de voies ferrées doivent être construites, apportant aux industries des régions du centre de la France des possibilités nouvelles. L'industrie lourde est a première bénéficiaire, mais aussi les usines de produits manufacturés.
En véritable novateur, Morny comprend que le chemin de fer va entraîner un changement profond dans les moyens de communication. Il cherche à associer l'extension du réseau ferroviaire à celle du réseau télégraphique. C'est également lui qui accorde une concession à l'éditeur Louis Hachette pour la création des Bibliothèques de gare.

Comte de Morny, homme politique, ministre, président de la Chambre, né en 1811 mort le 10 mars 1865,
 photographie d'André-Adolphe-Eugène Disdéri (1819-1889) qui est une épreuve sur papier albuminé
(n° d'inventaire : PHO1995-29-36. H. : 8,2 cm, L. : 5,5 cm. Acquise en 1995. Paris, musée d'Orsay).

Il est l'un des premiers à avoir vu l'intérêt des fusions afin de créer de puissants monopoles. Il a clairement exprimé sa pensée à la Chambre sur ce point : "Le chemin de fer par lui-même est un monopole ; il n'a de frein que son cahier des charges ou son propre intérêt : lorsqu'il est mal construit, mal entretenu, mal dirigé par ne compagnie pauvre, écrasée par des frais généraux, alors il devient un véritable et dangereux monopole, car il lutte contre sa propre misère, cherche des bénéfices dans l'exagération de ses tarifs et nuit à l'intérêt général. Au contraire, si la compagnie est puissante, si elle jouit d'un grand crédit, elle peut librement tenter des améliorations, poursuivre ses embranchements, faire des sacrifices pour aller chercher au loin des voyageurs et les marchandises, et oser des réductions de tarifs dont les résultats lucratifs ne sont souvent à recueillir que plus tard pour elle-même. En redoutant les grandes compagnies dirigées par des hommes considérables, offrant à l’État et au public plus de garanties et de sécurité, les anciennes assemblées se sont effrayées d'un fantôme." Avec une sorte de boulimie, Morny fait absorber par le Grand Central toutes les sociétés, mines, hauts-fourneaux, aciéries, nécessaires au développement  ferroviaire. Mais le projet le plus ambitieux du Grand Central sera l'installation du réseau espagnol, projet qui sera contrecarré par les aléas de la politique.

Armes du duc de Morny, gouache avec rehauts d'or
(n° d'inventaire : CMV.3964. H. : 27,4 cm, L. : 21,5 cm. Compiègne, musée de la voiture).

Tout à sa fringale d'opérations financières et industrielles qui lui permettent de restaurer sa fortune mise à mal, Morny n'a pas tardé à retrouver le chemin de l’Élysée."

Source :  Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir, éd. Gallimard, coll. nrf, 1995, p.172-174.

samedi 18 janvier 2014

Portrait de la comtesse de Castiglione (1837-1899) par la princesse de Metternich (1836-1921).



La Dame de Cœurs (la comtesse de Castiglione habillée en Dame de Cœurs debout devant une boiserie), 1861-1863.
Épreuve sur papier albuminé de Pierre Louis Pierson (1822-1913),
(n° d'inventaire : 2005.100.404. H. : 105 cm ; L. : 74 cm. Etats-Unis, New-York, The Metropolitan Museum of Art).

Mondaine se jouant des règles du même nom, car favorite de l'Empereur, elle se rend coupable d'une "insolence inouïe" en faisant "son entrée au bal [de la Cour] vers minuit, alors qu'il fallait être rendu aux Tuileries à 9h et demi !", se souvient la princesse de Metternich, personnalité originale dont le marie était ambassadeur d'Autriche auprès de Napoléon III, piquée de ne lui avoir jamais été présenté, mais incapable de taire son admiration. La description précieuse et détaillée qu'elle donne de sa première impression de la comtesse offre un condensé du personnage qui allie la liberté de la tenue et de la coiffure au maintien le plus compassé et figé. Elle exprime aussi un sentiment mitigé qui combine la fascination pour sa perfection physique et le malaise suscité par sa froideur affichée. Dans ce blason qui convoque la mythologie, la Castiglione, madone de Vénus, divine et païenne, merveille de la nature et œuvre d'art incarnée, tient à la fois de la nymphe, de la déesse et de la méduse, sa beauté possède la pérennité du marbre mais aussi la fragilité du transitoire - caractéristique principale de la modernité selon Beaudelaire :

"J'avoue être restée pétrifiée devant ce miracle de beauté ! Elle était vêtue d'une robe en tulle blanc recouverte de grosses roses à longues tiges, et ne portait comme coiffure que ses admirables cheveux tournés en grosses tresses sur sa tête et formant diadème. Sa taille était celle d'une nymphe. Son cou, ses épaules, ses bras, ses mains - elle n'avait pas mis ses gants qu'elle tenait à la main - semblaient sculptés dans du marbre rose ! Le décolletage, quoique excessif, ne paraissait pas indécent, tant cette superbe créature ressemblait à une statue antique ! La figure était à l'avenant. Un ovale délicieux, un teint d'une fraîcheur incomparable, les yeux vert foncé et tout veloutés, surmontés de sourcils qu'on aurait cru être tracés par le pinceau d'un miniaturiste, un petit nez à la Roxelane mutin et cependant d'une régularité absolue, des dents de perle. En un mot, Vénus descendue de l'Olympe ! Jamais je n'ai vu de beauté pareille, jamais je n'en reverrai plus comme celle-là.
La perfection n'étant hélas ! pas de ce monde, il manquait à la comtesse de Castiglione une chose essentielle, et cette chose était le charme ! Elle semblait tellement imbue de sa triomphante beauté, elle en était si uniquement occupée, qu'au bout de quelques instants après qu'on l'avait bien dévisagée, elle vous donnait sur les nerfs. Pas un mouvement, pas un geste, rien qui ne fût étudié ! Si elle avait été simple et naturelle, elle aurait bouleversé le monde, car je crois qu'elle aurait subjugué l'univers entier, tandis qu'on allait la regarder et l'admirer et qu'on la quittait écœuré de tant de pose et de vanité. Excepté l'empereur, je ne sache personne qui lui ait voué une admiration particulière. Fort peu aimable pour les femmes, Mme de Castiglione ne parlait qu'aux hommes."

Tous les témoignages concordent et le reproche d'être belle mais dépourvue du charme qui anime et transcende la beauté revient sous la plume des chroniqueurs, historiens et autres témoins du temps [...].

Portrait de la Princesse Pauline de Metternich (1836-1921), huile sur toile réalisée en 1860 par
Franz Xaver Winterhalter (1805-1873).

Source : Nicole G. Albert, La Castiglione, vies et métamorphoses, éd. Perrin, 2011, p.73-75.