dimanche 11 mars 2012

Louis XVI et Marie-Antoinette : Les raisons de longues années d'attente avant la mise au monde des héritiers du Trône.

" Un jour de l'automne 1772, au cours de l'un de leurs entretiens familiers, le roi [Louis XV confie à La Martinière, chirurgien du roi,] les difficultés que rencontre toujours Louis-Auguste [futur Louis XVI], âgé maintenant de dix-huit ans, à consommer son mariage qui date déjà de trois ans. Comme l'a noté le duc Croÿ l'année précédente : "Monsieur le Dauphin, quoique se fortifiant, n'aime que la chasse et ne paraît pas s'adonner au mariage : on marie trop tôt ces jeunes princes..." C'est d'autant plus préoccupant qu'il est maintenant l'héritier du Trône : "Le mois dernier, dit le roi à Germain [Pichault de La Martinière], j'ai exigé de mon petit-fils une confession exacte sur le degré d'intimité conjugale où il se trouve et il m'a avoué que, dans les tentatives qu'il fait pour consommer son mariage, il s'est toujours trouvé arrêté par des sensations douloureuses, mais qu'il ignore si cela vient tient à un défaut de conformation ou à d'autres causes. Voyez donc ce qu'il en est !" La Martinière convoque Lieutaud, le médecin du prince, et lui expose carrément la situation. Un ordre du roi ne se discute pas et on fait venir le jeune époux ; La Martinière lui demande de se déculotter puis de se "décalotter", ce qu'il fait un peu difficilement mais complètement. Et le chirurgien peut rapporter au Roi : "L'instrument est bon mais il apparaît que Son Altesse ne sait pas s'en servir !" Malgré tout ce qui a été évoqué, on peut être certain que, si un phimosis avait été constaté, le roi aurait exigé l'intervention que le Dauphin aurait été obligé d'accepter ; mais les difficultés à conclure son mariage sont ailleurs.

Portrait de Germain Pichault de la Martinière (1697-1783), par François-Adrien Grasognon Latinville (?-1774), Musée du Val de Grâce à Paris.
[...]

[Après la mort de Louis XV], les praticiens de la Cour n'ont que peu à faire pour la santé du ménage royal, qui est jeune et sain. Mais la grande affaire du moment qui inquiète l'entourage médical du jeune couple est celle de sa fécondité, car ils n'ont toujours pas d'enfant. Louis XVI a vingt ans et il est marié depuis cinq ans à Marie-Antoinette, qui a un an de moins que lui. Le ménage est uni, mais il vit quasi séparé ; Louis est persuadé qu'il est trop jeune pour l'amour physique, source, lui a-t-on fait croire de libertinage et de risque d'enfanter des monstres... Il est pieux et chaste de nature - ses précepteurs y ont veillé - et le souvenir des frasques de son grand-père et sa haine de madame du Barry, soigneusement entretenus par Mesdames ses tantes, lui font envisager la fidélité conjugale et l'abstinence sexuelle comme quelque chose de normal. [...]



Portrait de Madame du Barry vers 1781 (1743-1793), par Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), The John G. Johnson Collection, Philadelphia Museum of Art.
 
De son côté, Marie-Antoinette a été marié à quatorze ans, à peine réglée, à peine formée et sans aucune information préalable de son impératrice de mère. Tout ce qu'on lui a dit est qu'elle devait se soumettre à son mari pour lui donner des enfants ! En grandissant, elle s'est physiquement épanouie et, voyant autour d'elle des grossesses pas toujours faciles, elle a vite considéré qu'il n'y avait, en ce qui la concernait, rien de vraiment pressé, d'autant qu'elle n'est pas foncièrement attirée par le sexe (pour ne pas dire qu'elle est frigide). De plus, son mari n'est pas non plus physiquement épris. [...] Bref, depuis cinq ans ils n'ont pas encore réussi à consommer leur mariage et, assez vite, l'entourage médical se rend compte que les rapports conjugaux du ménage, qui n'étaient au début que fort limités et très hésitants, sont maintenant devenus inexistants. En 1775, sous la pression de sa belle-mère et de Lassonne, médecin de la Reine, le roi avait accepté de voir remettre en cause la contre-indication chirurgicale prononcée par La Martinière et Lieutaud deux ans auparavant. On avait alors demandé l'avis de Moreau, chirurgien de l'Hôtel-Dieu de Paris, qui avait, au grand soulagement du roi, confirmé l'absence d'indication opératoire. Mais ce qui était à la rigueur acceptable tant qu'il n'était que dauphin, ne l'est plus et pose maintenant un problème politique : la reine ne sera vraiment reconnue qu'au jour où la France apprendra la naissance d'un Dauphin.

Heureusement l'empereur Joseph II, frère aîné de la reine, vient à Versailles en avril 1777. A son habitude, il voyage incognito sous le nom de comte Falkenstein. Il vient théoriquement proposer à Louis XVI et à Vergennes les possessions autrichiennes dans les Provinces-Unies en échange de son soutien à l'annexion de la Bavière par l'Autriche. Mais il est surtout envoyé par par leur mère l'impératrice Marie-Thérèse, fort inquiète des rapports de Mercy-Argenteau, son ambassadeur à la cour de France, sur la conduite et l'apparente stérilité de sa fille. Elle a donc chargé Joseph de savoir ce qu'il en est réellement... La Martinière et l'entourage médical attendent beaucoup de cette entrevue et ils ne vont pas être déçus, car tout se sait très vite à la Cour. Quatre jours après son arrivée, Joseph emmène sa sœur faire une longue promenade en tête à tête dans les allées nouvelles du jardin anglais de Trianon. Il lui reproche son penchant pour la dépense, le jeu les bals et sa complaisance pour les excès de la mode. Il lui dit aussi qu'on a signalé à leur mère son caractère de légèreté et d'inconséquence, son comportement excentrique. Enfin il aborde carrément les problèmes du ménage royal et affole sa sœur avec l'idée qu'elle pourrait être répudiée comme bréhaigne... Des confidences qu'il lui arrache apparaît vite qu'il n'y a pas d'obstacle physique à la fécondité du couple. Ils sont ailleurs ! Le lendemain à Versailles, à son retour d'une visite à Louveciennes chez madame du Barry, il s'entretient en particulier avec son beau-frère. Il le découvre beaucoup plus intelligent et ouvert que ce qu'on lui avait annoncé ; mais il lui faut d'abord ôter de son esprit l'idée curieuse que remplir ses devoirs conjugaux serait nuisible à sa santé : ayant été atteint, croit-il, comme son frère aîné, de phtisie dans son jeune âge, le jeune roi craint de s'essouffler alors qu'il est très robuste, grand (il mesure plus d'1,90 m) et qu'il monte tous les jours à cheval et chasse avec fougue. En ce qui concerne sa vie conjugale, il finit par confier qu' "il a des érections fort bien conditionnées, il introduit le membre, reste là sans remuer , deux minutes peut-être, se retire sans jamais décharger, toujours bandant, et souhaite le bonsoir... Ma sœur, ajoute Joseph, avec cela a peu de tempérament et ils sont deux francs maladroits ensemble". [...] En réalité il y a du côté du roi une grande apathie, peut-être même une certaine répugnance, et surtout de la maladresse, associées à un simple rétrécissement forcément un peu douloureux du prépuce. Quant à la reine, elle se refuse à son époux car elle est physiquement assez étroite et que, dans ses tentatives maladroites, il lui fait mal sans apporter de réponse à un tempérament que l'on pourrait s'accorder à penser ataviquement exigeant. Elle est à la fois frigide et frustrée, et la crainte, même refoulée, d'une grossesse n'est pas pour arranger les choses...

Portrait de Joseph II (1741-1790), par Georg Decker (1818-1894), Palais Albertina de Vienne.

Joseph va alors s'expliquer franchement avec tous les deux, ensemble. Il leur intime que leur devoir est d'insister, lui sur la plus grande fréquence, la plus grande vigueur et la nécessaire conclusion de ses assauts, elle sur la nécessité de surmonter ses craintes, ses douleurs et de mieux "accueillir" son époux. Comme il y a certaines incompatibilités d'horaires - le roi s'endort le soir dès neuf heures et la reine ne se couche qu'à l'aube -, Joseph persuade Louis, puisque les deux époux ne peuvent faire couche commune, de visiter sa femme le matin avant son lever ou en début d'après-midi "quand il ne tombe pas encore de sommeil et qu'elle n'est pas encore dans l'impatience de retrouver ses amis"... Et cela va se faire !

On dit que ce fut le 18 août 1777, au bout d'un petit mois de bonne volonté réciproque, la reine sortant du bain et, peut-être, la chaleur propice d'un bel été aidant ! Le roi et la reine semblent maintenant pouvoir "coexister" et s'appliquer, vraisemblablement sans joie mais sans répugnance, à leur devoir dynastique. Sans être une fête, ce n'est plus un désastre. Marie-Antoinette peut écrire à sa mère le 30 août : "Mon mariage est parfaitement consommé, l'épreuve (sic) a été réitérée, et encore hier, plus complètement que la première fois." En fait, la reine est désormais régulièrement honorée par un mari de forte vitalité, sinon de grande virilité. Le 23 avril 1778 "la reine fut déclarée grosse et le roi en parut fort joyeux : il l'aimait fort et paraissait en devenir amoureux". (Duc de Croÿ, Mémoires sur les cours de Louis XV et Louis XVI par le Cte de Grouchy, Nouvelle Revue rétrospective, 1895.) "

 Marie-Antoinette et ses enfants, par Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842), Château de Versailles.

Source : François Iselin, La Martinière, Chirurgien de Louis XV, éd. Perrin, Coll. Les métiers de Versailles, Paris, 2010, pp.120-121 et pp.166 à 171.

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