vendredi 28 février 2014

Une décisive impulsion a été donnée par Louis Napoléon à la France : il l'a fait changer de siècle.

Louis-Napoléon-Bonaparte (1808-1873), président de la République, 1848-1852, sculpture en bronze
(n° d'inventaire : RF3681. H. : 96 cm ; L. : 57 cm ; l. : 43,3cm. Dépôt de l'Etat, 1984 ; Paris, musée d'Orsay).

"Tout le monde connaît, car on en parle sans cesse, les libertés que [Louis Napoléon] limita ; tout le monde oublie, car on omet souvent de le rapporter, qu'elles furent, le moment venu, rendues au peuple et notablement amplifiées. En 1870, au chapitre des droits fondamentaux, individuels et collectifs, il n'y a pas lieu d'écrire que la France a été délivrée  d'un tortionnaire. [...]
En tout cas, les progrès accomplis dans le domaine des droits sociaux sont indiscutables : droit de grève, droit de réunion, liberté syndicale de fait, abolition de dispositions anti-ouvrières dont nul ne s'était vraiment soucié jusque-là. L'esquisse d'une protection sociale a été dessinée, ou du moins sa nécessité reconnue. L'enseignement public a été amélioré et étendu. Surtout, la France s'est profondément et durablement modernisée.
Une décisive impulsion a été donnée par Louis Napoléon à la France. Il l'a fait changer de siècle. Aujourd'hui encore, nous vivons dans un cadre qu'il a conçu, voulu et créé et qu'il nous a légué.
Peu de chefs d’État dans l'Histoire ont laissé un tel héritage. Rarement, jamais sans doute, la France n'aura fait autant de progrès en si peu de temps.
Quand on mesure la puissance de notre pays en 1870, on enrage vraiment à la pensée de la défaite. Sedan est un scandale. Car la France n'est pas battue sur ce qu'elle est, c'est-à-dire un pays autrement plus avancé, autrement plus riche, autrement plus puissant que la Prusse."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.332.

Une critique des "plus stupides" sur les travaux haussmannien.

Le baron Haussmann (1809-1891), daguerréotype daté vers 1850 de Désiré François Millet
(n° d'inventaire : PHO1984-89. H. : 14,5 cm ; L. 10,5. Paris, musée d'Orsay).

Les travaux d'aménagement durant le second Empire entrepris par Napoléon III et le baron Haussmann sont "une œuvre immense. Que valent les critiques qui [leurs] ont été adressées ?
Nul besoin de s'étendre sur les plus stupides d'entre elles. En particulier celle qui traîne partout et selon laquelle ces grandes percées rectilignes répondaient exclusivement à des arrières-pensées stratégiques, permettant au pouvoir de réprimer au canon des émeutes du type de celles qui avaient emporté déjà deux régimes. De telles assertions ont la vie dure. Pourtant, dans ce Paris transformé - on n'allait pas manquer de s'en apercevoir - la possibilité existe encore de faire la révolution."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.328.

dimanche 16 février 2014

Les partis politiques et la légitimité vus par Louis Napoléon Bonaparte et par Charles de Gaulle (1890-1970).

Le fronton du pavillon Denon sculpture de Pierre Charles Simart, décor du palais du Louvre, Paris, entre 1855 et 1857.
Épreuve sur papier albuminé d’Édouard Baldus (1813-1889) conservée au musée d'Orsay à Paris
(n° d'inventaire : PHO1998-2-62. H. : 9,3 cm ; L. : 38,5 cm. 1998, don de Mme Jacques Fildier, en souvenir de Mme Reine-Suzanne Dufournier).


"Dans une lettre à Armand Laity, par laquelle il autorise celui-ci à publier sa Relation historique des événements du 30 octobre 1836, Louis Napoléon écrit : "On vous demandera [...] où est le parti napoléonien ? Répondez : le parti est nulle part et la cause partout. Ce parti n'est nulle part parce que mes amis ne sont pas enrégimentés, mais la cause a des partisans partout, depuis l'atelier de l'ouvrier, jusque dans le conseil du roi, depuis la caserne du soldat jusqu'au palais du Maréchal de France."
Cela revient à dire que la cause est nationale, et que la création d'un parti est formellement interdite. Et si un jour un groupe - un rassemblement - devait se constituer, il ne serait en aucun cas un parti comme les autres. Comment donc ne pas discerner, déjà, de multiples correspondances entre la pensée de Louis Napoléon et celle de Charles de Gaulle ?
La théorie de la légitimité, les dangers du système des partis, la nécessité de dépasser, au nom de l'intérêt national, leurs jeux et oppositions factices, tout cela est d'une évidente similitude.
Pour l'un comme pour l'autre, il faut un chef d’État qui en soit un, qui incarne l'autorité de l’État, et qui dispose de la maîtrise du pouvoir exécutif. Afin de fonder cette autorité sur une base démocratique, le chef de l’État doit être élu par le peuple et ne peut être privé du droit de s'adresser à lui comme il l'entend. Se crée alors un lien particulier, personnel, essentiel, entre le peuple et celui qu'il a choisi pour le guider, lien qui s'appelle la légitimité. Dans cet esprit, le plébiscite, pour l'un, le référendum, pour l'autre, servent à renouveler l'investiture populaire du chef de l’État : chaque fois que la confiance du suffrage universel semble ébranlée du fait des circonstances, ce renouvellement permet d'éviter une crise politique ou de prendre en compte le caractère exceptionnel de l'enjeu auquel le pays peut se trouver confronté.

Louis Napoléon Bonaparte, élu Président de la République Française, prêtant serment à la Constitution. (20 Décembre 1848).
Estampes de 1848 par le lithographe Raunheim Cossmann, conservée à Paris, à la Bibliothèque nationale de France (BnF)
sous le n° d'inventaire : QB-1 (1848-12).


Comme l'écrit Francis Choisel dans sa remarquable étude sur Bonapartisme et Gaullisme : "Le plébiscite bonapartiste et le référendum gaulliste sont par conséquent un tout, où la réponse à la stricte question posée intègre l'acte d'adhésion à l'homme qui la formule et au régime que ce dernier incarne, la ratification de son action passée et la confiance en ce qu'il fera demain."
Pour Louis Napoléon comme pour de Gaulle, le peuple est le juge suprême et, plus encore, la source de tout pouvoir. C'est une idée que les deux hommes expriment avec les mêmes mots.
Louis Napoléon proclame dans le préambule de la Constitution de 1852 que "[...] le peuple reste toujours maître de sa destinée. Rien de fondamental ne se fait en dehors de sa volonté." Et comme en écho de Gaulle répond : "C'est un principe de base de la Ve République et de ma propre doctrine que le peuple français doit trancher lui-même ce qui est essentiel à son destin."
Et d'ajouter : "Il fallait que le peuple eût à s'associer directement, par voie de référendum, aux décisions capitales qui engageraient son destin."

Le général de Gaulle (1890-1970), épreuve argentique du photographe Fayer installé à Londres
(n° d'inventaire : 2001.83.1. H. : 36,8 cm ; L. : 26,2 cm. Paris, musée de l'Armée).

Cette voie, en tout cas, n'est pas si facile à emprunter et à suivre. Se dresse sur la route, on l'a vu, un obstacle majeur : les partis, avec les divisions qu'ils impliquent. Louis Napoléon et de Gaulle, là encore, trouvent les mêmes accents pour les dénoncer et les combattre, l'un dans ses Rêveries politiques, l'autre dans ses Mémoires de guerre :
"Au-dessus des convictions partielles, écrit Louis Napoléon, il y a un juge suprême qui est le peuple. C'est à lui de décider son sort, c'est à lui de mettre d'accord  tous les partis, à empêcher la guerre civile et à proclamer hautement et librement sa volonté suprême. Voilà le point où doivent se rencontrer tous les bons Français, de quelque parti qu'ils soient, tous ceux qui veulent le bonheur de la patrie, non le triomphe de leur doctrine."
Évoquant les oppositions qu'il a rencontrées, de Gaulle ne dit pas autre chose : "La perspective d'un appel à la décision direct du pays paraissait à toutes les fractions politiques scandaleuses. Rien ne montrait plus clairement à quelles déformations du sens démocratique menait l'esprit des partis. Pour eux, la République devait être leur propriété, et le peuple n'existait, en tant que souverain, que pour déléguer ses droits et jusqu'à son libre arbitre aux hommes qu'ils lui désignaient."
Rien d'étonnant donc de relever maintes analogies dans la pratique institutionnelle des deux hommes : même propension à reconnaître la supériorité du référendum, du plébiscite ou de l'élection présidentielle sur l'élection législative, même impatience devant les tentatives d'immixtion des Chambres dans la conduite des affaires, tentatives qui ne peuvent à leurs yeux qu'entraver l'action du gouvernement...
Et Francis Choisel peut ainsi conclure : "Il y a par conséquent entre le gaullisme et le bonapartisme une double identité en matière constitutionnelle : d'une part la communauté de sentiment quant aux grandes lignes des mécanismes d'exercice du pouvoir et que l'on peut qualifier de plébiscitaire [...] et bicaméral ; d'autre part, un accord sur la solution de compromis qu'il est nécessaire d'admettre face aux tenants inconditionnels du régime d'assemblée, à savoir un système semi-parlementaire tempérant les dispositions plébiscitaires [...]. La seule différence d'importance réside dans le fait que ce compromis fut un point d'arrivée, en parie contraint, pour Napoléon III et une base de départ, elle-même en partie subie, pour de Gaulle."
Ces nombreuses similitudes, le général de Gaulle ne les a jamais formellement reconnues, pas plus qu'il n'a admis de considérer Louis Napoléon comme un précurseur. Certes, il s'agit plutôt d'une communauté d'inspiration que d'une filiation. Mais la prudence gaullienne est tout à fait compréhensible : la cote de Louis Napoléon étant au plus bas dans notre pays, la moindre référence au second Empire pouvait s'avérer assassine."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.63-65.

Louis Napoléon Bonaparte (1808-1873) sera le premier président de la République française.

Château de Compiègne : Buste de Napoléon III, épreuve numérique du  photographe Jean-Baptiste Leroux
(né en 1949 ; collection Jean-Baptiste Leroux, Paris).

"Un exilé qui connaît à peine la France et que les Français ne connaissent guère mieux ; un doux rêveur, un imprévisible hurluberlu qui s'est ridiculisé dans deux ou trois équipées dont on a surtout retenu les aspects dérisoires, même si elles ont pu lui valoir quelques rares sympathies ; un prétendant aux visées d'autant plus anachroniques qu'on est en plein triomphe de la République ; un homme seul, sans l'appui ne fût-ce que de l'ébauche d'un parti organisé ou du moindre comité de soutien, au point que le préfet de police qui, dans son rapport de synthèse sur les opposants et agitateurs de toutes obédiences, s'en voudrait d'oublier les plus marginaux, ne dit pourtant pas un mot des bonapartistes ; tel est l'homme qui va débarquer en France à la fin de février 1848, avec la folle et incroyable prétention de faire sa conquête.
Neuf mois et quelques jours plus tard, cet exilé, cet hurluberlu, ce prétendant anachronique, cet homme seul, sera le premier président de la République française.
On conviendra que l'exploit est prodigieux. Et que, pour le réussir, il ne suffit pas, comme certains ont pu longtemps le soutenir, d'arborer un grand nom : si cela était, l'affaire aurait été conclue depuis longtemps. Il y fallait de surcroît un sens politique, une intelligence, une habileté hors du commun.
Car ce combat insensé, Louis Napoléon va le remporter à la loyale, avec ses seuls armes."

Source : Philippe Séguin, Louis Napoléon le Grand, éd. Grasset, Paris, 1990, p.95.

lundi 10 février 2014

La princesse Mathilde (1820-1904) résume la politique en quelques mots.

La Princesse Mathilde dans son atelier, Sébastien Charles Giraud (1819-1892), huile sur toile conservée au château de Compiègne
(n° d'inventaire : C55.081. H. : 50 cm ; L. : 150cm).


"A Dumas fils, la princesse Mathilde avoue :
- La politique ? Je ne m'en occupe pas. Je ne sais rien qui vaille et, en somme, cela se résume toujours à ceci : "Ôte-toi de là que je m'y mette !"

Source : Jean des Cars, La Princesse Mathilde, éd. Perrin, 1996, p.443.

IIIe République : Le septennat est inventé, la République est réellement fondée à... une voix de majorité !

 Henri Wallon (1812-1904)

"Progressivement, utilisant les divisions et les incohérences des prétendants, [qui sont le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, et le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe,] les républicains marquent des points. Au début de 1875, l'Assemblée vote ce qu'on appelle, improprement, la "Constitution de 1875". C'est le député Henri Wallon qui est l'auteur du célèbre amendement disposant que le président de la République "est nommé pour sept ans ; il est rééligible". Le septennat est inventé, la République est réellement fondée à... une voix de majorité ! Le scrutin a donné, en effet, un étrange résultat : 353 voix pour, 352 contre. Mais une voix suffit pour écrire l'Histoire ; on l'avait vu lors du procès de Louis XVI.
A la princesse [Mathilde] qui suit l'accouchement républicain, Gustave Flaubert écrit, soulagé par la perspective de paix : "Nous n'aurons pas de monarque, Dieu merci, c'est-à-dire qu'on ne brûlera pas les églises et qu'on ne tuera pas les pauvres curés."
Chez les Bonaparte, l'union devait être la règle. Hélas, ils souffrent, comme les monarchistes, de dissensions internes."

Source : Jean des Cars, La Princesse Mathilde, éd. Perrin, 1996, p.441-442.

Napoléon III avait poussé très loin un projet de retour en France en 1873.

Napoléon III et le prince impérial sur ses genoux, huile sur toile conservée au château de Compiègne
(n° d'inventaire : C49.111).

"Le 9 janvier 1873. L'aménagement de l'hôtel de la rue de Berri est achevé et Mathilde [cousine de Napoléon III car fille du roi Jérôme, frère de Napoléon Ier] qui s'est agrandie réside maintenant au n° 20. Dans la soirée, la princesse, qui a regagné ses appartements du premier étage, reçoit une dépêche. Le télégramme vient d'Angleterre. Il contient l'annonce de la mort, brutale, de Napoléon III. L'empereur est décédé une heure avant une opération de la vessie, troisième intervention après les deux qu'il avait subies en huit jours. A son médecin, il avait posé, dans un murmure, cette ultime question qui l'obsédait :
- N'est-ce pas, Conneau, que nous n'avons pas été lâches à Sedan ?
La princesse suspend immédiatement toute vie mondaine et prend le deuil avec une dignité qui en impose même aux adversaires de l'Empire. Si elle n'avait pas toujours cautionné ce que décidait on cousin, elle tient à honorer sa mémoire et à réhabiliter son œuvre.
[...]

La princesse Mathilde, par Pierre François Eugène Giraud (1806-1881), pastel de 1861
(n° d'inventaire : C.28-D.20. H. : 127 cm ; L. : 95 cm, château de Compiègne, dépôt du musée de Versailles).

Mathilde apprend que Napoléon III avait poussé très loin un projet de retour en France. Encore ! L'affaire était prévue pour l'été en passant par Genève, Cologne et Bâle. A Lyon, Bourbaki devait soulever la garnison. Seul l'état de santé de l'ex-empereur avait retardé la mise en pratique de ce retour d'exil. Pour conquérir la France, il lui aurait fallu paraître à cheval et pour se tenir en selle, il lui fallait subir d'éprouvantes opérations chirurgicales. A ceux qui formulaient d'autres objections, l'ancien souverain avait rétorqué :
- Ce qui peut m'arriver de pire, c'est d'être fusillé ; cela vaut mieux que de mourir en exil et dans son lit.
Cette gloire lui avait été refusée et Mathilde ne cessera d'y songer pendant le long deuil qu'elle portera un an ; un véritable deuil de cour."

Source : Jean des Cars, La Princesse Mathilde, éd. Perrin, 1996, p.436-438.