vendredi 27 décembre 2013

Révolution française : les Parlementaires ont eux-mêmes scié la branche qui les soutenait.


Représentation du Lit de Justice tenu par Louis XVI le 6 août 1787 à Versailles, estampe d'Abraham Girardet (1764-1823)
(N° d'inventaire : invgravures888. H. : 26 cm ; L. : 33 cm. Châteaux de Versailles et de Trianon).

"Personnages ambitieux, infatués de leur puissance, riches financièrement, redoutés de tous, et pas seulement des plaideurs, nourrissant une sympathie non avouée pour les idées jansénistes, redoutables dialecticiens, connaissant parfaitement les lois et les coutumes, familiers de toutes les roueries offertes par la procédure judiciaire, ayant malheureusement tendance à abuser de leur savoir, de leurs qualités et du prestige dont ils jouissaient, les Parlementaires savaient se montrer perspicaces dès lors qu'il s'agissait de défendre leurs intérêts. Mais parce qu'ils étaient souvent gonflés de suffisance et surtout qu'ils étaient davantage des hommes du passé que des magistrats tournés vers l'avenir, ils n'ont pas compris la gravité de la crise dont la France souffrait en 1787. Leur orgueil hautain, leur intime conviction d'être les premiers de la Nation, en ont fait des aveugles. Et cependant, ces travailleurs méticuleux, ces hommes de robe, vaguement jaloux de la noblesse d'épée, sont à l'origine de la grande tradition dont la magistrature d'aujourd'hui a raison d'être fière.
La Révolution, que les Parlementaires ont tout bas appelée de leurs vœux, et à la naissance de laquelle ils ne furent pas étrangers, leur fut fatale. C'est que ces hauts magistrats n'ont pas compris qu'appartenant à une classe sociale privilégiée ils étaient, de ce fait même, liés à la monarchie qu'ils n'aimaient guère et à la société d'Ordres qu'ils ont cru éternelle. Les principes de la souveraineté nationale ne furent pas perçus par eux. Cet aveuglement ne leur permit pas de survivre au tourbillon révolutionnaire.

Louis XII, roi de France (1462-1515), lithographie de Ch. Villain (actif au 19e siècle) imprimeur lithographe
(N°d'inventaire : LP8.48.1. L. : 23.7 cm.châteaux de Versailles et de Trianon).

Louis XII proclamé "Père du Peuple" aux états généraux de Tours, 14 mai 1506, vers 1835, par
Jean-Louis Bézard  (1799-1881) d'après le peintre, Michel-Martin Drölling (1786-1851) (N° d'inventaire :
MV2272. H. : 400 cm ; L. : 715 cm. Châteaux de Versailles et de Trianon).


Victimes à la fois de leurs qualités et de leurs défauts, les Parlementaires ont commis une triple erreur :
  1. Ils eurent tort, sous les règnes de Louis XII et de François 1er, d'accepter de bénéficier du système de la vénalité des charges. Certes, ils purent ainsi constituer d'immenses fortunes. Devenus des magistrats comme les autres, ils perdirent une partie de la respectabilité et de la considération qui les entouraient du temps où ils étaient encore choisis par le roi ou cooptés par leurs pairs. Au fil des années, ils cessèrent, souvent à tort d'ailleurs, d'être parés du prestige dont ils avaient si longtemps joui et leur réputation d'indépendance s'estompa peu à peu.
  2. En 1604, poussés sans doute par un sentiment de caste qui témoigne de leur ambition, ils acceptèrent de bénéficier des dispositions offertes par l’Édit de la Paulette permettant, moyennant le versement d'une somme importante, d'acheter l'hérédité de leur charge. Ils n'apparaissent plus dorénavant comme les défenseurs de la nation, mais comme des juges préoccupés avant tout de sauvegarder leurs intérêts.
  3. Le 23 septembre 1788 pourquoi, après avoir affaibli le gouvernement royal en s'opposant systématiquement à toute réforme structurelle de l’État, refusent-ils brusquement de se prononcer en faveur du dédoublement du Tiers aux États Généraux de mai 1789 ? Sans doute est-ce par crainte de perdre les avantages dont ils jouissaient en tant que membres privilégiés d'une "société d'Ordres" ?Ils ont, ce jour-là, commis une faute que les hommes de la Révolution ne pouvaient ni ignorer, ni pardonner.
La disparition des Parlements se fit en quatre étapes :
  1. Le 3 novembre 1789, l'Assemblée Nationale Constituante décida de proroger indéfiniment les vacances parlementaires. Seule, demeura en fonction, provisoirement d'ailleurs, la Chambre des Vacations.
  2. Le 24 mars 1790, à l'étonnement d'un grand nombre de Parlementaires qui, aveuglément, n'avaient pas compris la portée de la mesure adoptée le 3 novembre 1789, le Parlement de Paris, ainsi que tous les Parlements de province, sont purement et simplement supprimés.
  3. La loi du 16 août 1790 réorganisant la justice ne fait nullement mention, dans le nouvel éventail des tribunaux français, de l'existence des Parlements. C'est une cruelle déception pour les magistrats qui s'obstinaient à espérer que les Parlements renaîtraient de leurs cendres.
  4. A l'automne 1790, le Chambre des vacations, dernier souvenir des défunts Parlements, disparut à son tour.
C'est ainsi qu'il fut mis fin à une des plus grandes institutions de la Monarchie française.

On ne peut oublier que les Parlementaires, ces hommes qui avaient tenu tête aux rois de France, qui avaient rêvé d'un grand destin, qui croyaient que leur puissance les mettrait à l'abri de tous les remous secouant la France, ont eu, pour nombre d'entre eux, une fin misérable. En 1793, l'épuration sanglante qui frappa les anciens magistrats ne les épargna pas.
Peut-on expliquer la brutalité avec laquelle disparut ce corps prestigieux dont on ne peut ignorer qu'il est à l'origine de la plupart des traditions qui font aujourd'hui l'honneur de la magistrature française, et dont le souvenir hante encore les grandes Cours de Justice de la République ?
Il semble bien que l'aveuglement des Parlementaires, né de leur esprit de caste et alimenté par un sentiment d'orgueil difficile à admettre, ait contribué à leur perte. Juges professionnellement irréprochables, mais politiquement travaillés par des courants divers, philosophiquement souvent, religieux parfois, ils ont eux-mêmes scié la branche qui les soutenait. Ils pouvaient participer au sauvetage de la Monarchie en l'aidant à se transformer dans un sens qui lui aurait permis de se réformer. Ils ont disparu pour ne point l'avoir fait. Il y a là une grande leçon à méditer."

Source : Aimé Bonnefin, La monarchie française (987-1789), constitution et lois fondamentales, éd.France-Empire, Paris, 1987, p.330-332.

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