mardi 28 janvier 2014

L'Impératrice Eugénie (1826-1920) : une Espagnole à la beauté triomphante et au regard mélancolique.

L'Impératrice Eugénie à Biarritz, par E. Defonds.
Huile sur toile conservée au château de Compiègne (n° d'inventaire : C.48029).

"Une Espagnole à la beauté triomphante et au regard mélancolique va être l'instrument du destin. Elle est née à Grenade le jour d'un tremblement de terre et toutes les diseuses de bonne aventure ont lu dans sa main les signes d'une vie exceptionnelle. A seulement la regarder, on le devinerait. Blonde, d'un blond tirant sur le roux, un long col, des yeux bleus un peu tristes, un visage d'un ovale parfait, un maintien réservé, elle possède toutes les qualités pour s'imposer comme l'une des plus belles femmes de la cour de Napoléon III. Eugénie est de plus une cavalière hors pair. C'est cette belle prestance d'amazone qui, dit-on, attira sur elle l'attention de Louis-Napoléon, lui-même excellent cavalier, lors d'une revue à Satory. N'eussent été ces qualités, elle avait encore d'autres raisons de plaire à l'empereur, notamment ses origines. Son père, le colonel Portocarrero, futur comte de Montijo, fervent bonapartiste, avait perdu un œil et une partie de sa fortune au service de Napoléon.

L'Impératrice Eugénie, photographie anonyme
conservée au musée franco-américain du château de Blérancourt, à Blérancourt (n° d'inventaire : MNB60c45).

Un séjour à Compiègne devait transformer cette inclination en véritablement attachement. Un matin, au cours d'une promenade dans les jardins avec Louis-Napoléon, Eugénie découvrit une merveilleuse feuille de trèfle couverte de gouttes de rosée devant laquelle elle s'extasia. Le prince fit réaliser en secret par un joaillier un bijou représentant ce trèfle en émeraude : sur chaque feuille était incrusté un diamant. Le lendemain soir, à la faveur d'une loterie subtilement arrangée, Eugénie reçut le bijou. Ce signe de faveur ne trompa personne. Dès lors les intrigues se déchaînèrent entre partisans et adversaires du mariage de Louis-Napoléon avec la belle Andalouse.
Depuis le plébiscite, il était évident que le nouvel empereur devait se marier. Sa liaison avec une séduisante Anglaise, Miss Howard, qui avait en partie financé le coup d’État, était critiquée par son entourage. Mais si tout le monde se prononçait en faveur d'un mariage, des divergences se faisaient jour sur la nature de l'union que devait contracter le souverain. Devait-il choisir son épouse dans les familles royales européennes ou bien faire un mariage selon son inclination ? Eugénie entrait dans la seconde catégorie. On se partagea aussitôt en deux camps : le premier en faveur de l'union avec un princesse royale comptait Persigny, Drouyn de Lhuys, Saint-Arnaud, la famille Bonaparte ; Morny se trouvait à la tête des partisans d'Eugénie qu'on appelait "le clan des chevaliers français et des amoureux" et qui comprenait Fould et le colonel Fleury.
Eugénie n'était pas une inconnue pour Morny. Il l'avait rencontrée chez son tuteur, Gabriel Delessert. Eugénie était la meilleure amie de la comtesse de Nadaillac, fille de Delessert.

L'impératrice Eugénie agenouillée sur un prie-Dieu dans le salon du palais de Saint-Cloud, en 1856, par Gustave Le Gray (1820-1884).
Épreuve sur papier salé conservée au château de Compiègne (n° d'inventaire : C71.153. H. : 22,3 cm ; L. : 29,7 cm).

A la cour, on cherchait à interpréter les signes qui pouvaient présager du choix de Louis-Napoléon. Les méchantes langues murmuraient qu'il se contenterait d'en faire sa maîtresse. Pour Eugénie, il n'en était pas question.Deux anecdotes - sans doute passablement apocryphes - illustrent sa résolution. L'Empereur, arrivant à cheval devant les Tuileries et la voyant à une fenêtre, lui aurait demandé : "Quelle est, mademoiselle, le chemin qu'il faut prendre pour arriver jusqu'à vous ?" A quoi la jeune fille, désignant une direction sur sa droite, aurait répondu : "Sire, par la chapelle." Une autre fois, à Compiègne, alors qu'au cours d'une partie d'une partie de cartes elle lui demandait conseil, il lui répondit : "Tenez-vous-en au point ; il est très beau. - Non, lui répliqua-t-elle, je veux tout ou rien."

L'impératrice Eugénie et le Prince impérial, épreuve sur papier albuminé d'Emmanuel Flamant
(n° d'inventaire : MNEH1997-4-1176H. : 9,2 cm ; H. : 5,7 cm. Paris, musée Ernest Hébert).

Un jour, qu'elle se plaignait à l'empereur des tracasseries et des humiliations qu'on lui faisait subir à la cour, il arracha quelques feuillages et lui tressa une couronne qu'il posa sur sa tête. "En attendant l'autre", dit-il.
Et le 22 janvier 1853, il annonça officiellement aux Tuileries devant les bureaux du Corps législatif, du Sénat et du Conseil d’État, sa décision de l'épouser : "Sans témoigner de dédain pour personne, je cède à mon penchant, mais après avoir consulté ma raison et mes convictions. En plaçant l'indépendance, les qualités du cœur, le bonheur de la famille au-dessus des préjugés dynastiques, je ne serai pas moins fort puisque je serai plus libre."
Persigny employa toutes sortes d'arguments pour tenter de faire revenir l'empereur sur son projet. A bout de ressources, il alla même jusqu'à se confier à Morny. Mais celui-ci lui adressa une lettre dans laquelle il réitérait ses raisons en faveur de l'union avec Eugénie : "Encore s'il s'agissait de la fille de la reine d'Angleterre ou de celle de l'empereur de Russie, je serais peut-être de votre avis ; mais s'il faut traîner deux ans pour obtenir misérablement la main d'une princesse de dernier ordre (...) j'aime mieux cent fois une jolie amoureuse, bien placée sur une noble et belle fille, que le misérable mariage allemand officiel, laid, sans excuse qui nous est réservé."
Le mariage eut lieu le 30 janvier à Notre-Dame. Le clan des amoureux avait gagné, Morny en tête. Revenu en faveur auprès de Louis-Napoléon, il pouvait désormais compter sur le soutien de l'Impératrice. Un an allait suffire pour retrouver le pouvoir. La disgrâce de Persigny s'inscrivait dans l'ordre des choses."

Source : Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir, éd. Gallimard, coll. nrf, 1995, p.176-179.

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