jeudi 31 janvier 2013

Des illusions et le bouleversement de la vapeur, de l'électricité et des communications.

"Sauf les classes criminelles et les révolutionnaires incorrigibles recherchant l'impossible, chacun se santait protégé dans sa sécurité, sa liberté, ses croyances ; aussi, comme je l'entendais dite tous côtés en revenant de campagne, on se sentait bien gouverné. Il est vrai que si j'ouvrais les journaux, j'y lisais le plus souvent le contraire. S'il se trouvait parmi ces journaux des organes de publicité sérieux, rédigés par des hommes de cœur et de talent qui, quelles que fussent leurs opinions, s'efforçaient par leurs écrits de bien servir leur pays, combien d'autres avaient pour rédacteurs de vrais marchands d'injures, d'autant plus lus qu'ils étaient plus calomnieux, courtisans de toutes les passions envieuses et subversives. Ces hommes étaient les interprètes de cette classe de plus en plus nombreuse de spéculateurs qui déserte toute carrière utile pour demander la fortune aux hasards de la politique. Selon eux, l'oppression et la corruption étaient intolérables et ne cesseraient que lorsque le pouvoir passerait entre leurs mains immaculées. Seuls ils possédaient le secret de transformer la France en paradis terrestre par l'application sincère des grands principes sonores de Liberté, Égalité, Fraternité. Cette sincérité d'application, si souvent annoncée, tarde un peu à venir, surtout quant à l'égalité, qui pour tant de gens signifie seulement : Ce que je n'ai pas, personne ne l'aura ! Certes le mot égalité est séduisant, et dans toute la société qui se respecte, l'égalité devant la loi doit être entière, absolue pour tous. Mais tant que la science n'aura pas trouvé le moyen de faire tous les hommes également intelligents et toutes les femmes également belles, je considérerai l'égalité universelle, aveugle, comme la plus absurde et la plus dangereuse des chimères.

La République par Jules Claude Ziegler (1804-1856), 1848, huile sur toile, Lille, Palais des Beaux-Arts (Hauteur : 0,740 m, Longueur : 0,580 m. N° d'inventaire : Inv.P.953).

Ces réflexions ne me venaient pas à l'esprit à l'époque dont je parle ; j'étais, en 1840, trop insouciant pour me tracasser des casse-tête enfantés par nos office-seekers, chasseurs de place, comme disent les Américains. Pendant qu'ils s'amusaient aux fantaisies envieuses, irréligieuses, malsaines, intéressées surtout, qu'ils prétendaient faire découler des principes de 1789, une révolution bien plus terrible que la révolution française, car elle frappait le pauvre comme le riche, n'allait pas tarder à fondre sur nous : la révolution causée par l'emploi de la vapeur, de l'électricité, par la rapidité des communications. Peu de gens prévoyaient alors le bouleversement profond qui allait atteindre chez tous les peuples agglomérés en vieilles sociétés sur un sol épuisé, les conditions du travail, de l'alimentation, de l'existence même, bouleversement dont nous ne sommes qu'au début, sans en entrevoir le remède."

Source : Vieux souvenirs de Mgr le Prince de Joinville 1818-1848, éd. Mercure de France, le Temps retrouvé, 1970, p. 142-143.

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