jeudi 31 janvier 2013

La Reine Marie-Antoinette au temps de son impopularité et l'idée du Prince de Ligne d'installer la Cour à Paris.

"L'impopularité grandissante de Marie-Antoinette révèle ceux qui entouraient le trône lui-même. Des pamphlets obscènes circulaient, de la plume de Beaumarchais ou d'autres, comme ces Fureurs utérines de Marie-Antoinette, accusant la reine d'être un bisexuelle vorace et ses enfants des bâtards. Refusant de les prendre aux sérieux, contrairement aux futurs historiens, elle les montrait à ses amis avec force éclats de rire. Il y en avait tant que Ligne lui dit un jour être convaincu que "Votre Majesté est de moitié pour les profits". Il était d'ailleurs bien placé pour voir que ces libelles trouvaient leur origine à l'intérieur même du cercle intime de la reine. Un jour que Mme de Polignac et Marie-Antoinette pleuraient dans les bras l'une de l'autre sur les malheurs de la duchesse qu'une intrigue visait à la Cour, le comte d'Artois entra dans la pièce. "Ne vous gênez pas", dit-il en rient, et il s'éloigna racontant partout qu'il avait dérangé deux amis.

Yolande-Gabrielle-Martine de Polastron, duchesse de Polignac (1749-1793), portrait « au chapeau de toile ». Huile sur toile d’Élisabeth-Louise Vigée-Lebrun (1755-1842) datée de 1782, châteaux de Versailles et de Trianon (Hauteur : 0,922 m; Longueur : 0,733 m. N° d'inventaire : MV 8971).

Ligne ne cessa jamais de défendre la reine et contribua à propager la légende blanche de Marie-Antoinette, "mille fois trop bonne", aussi éloignée de la vérité que la légende noire répandue par les pamphlets. On sait le luxe dont elle s'entourait. Son extravagance était telle qu'un jour, ayant épuisé son allocation mensuelle, elle dut demander à Ligne d'emprunter vingt-cinq louis aux valets de service dans l'antichambre afin de pouvoir verser une aumône à une mendiante. Ce qui n'empêcha pas Ligne d'écrire que la moindre servante ou maîtresse de ministre vivait dans une plus grande opulence que la reine. Il nia qu'elle ait eu des amants, affirmant qu'"il n'y eut jamais aucun de nous qui avions le bonheur de la voir tous les jours, qui osât en abuser, par la plus petite inconvenance, elle faisait la Reine sans s'en douter, on l'adorait sans songer à l'aimer".
Tout ce qu'elle faisait, dit-il, était pris en mal. Si elle riait, on la traitait de "moqueuse". Si elle se montrait accueillante envers des étrangers, c'était le signe qu'elle haïssait la France. Si elle dînait avec Mme de Polignac dans son appartement, elle était "familière". Les fêtes qu'elle donnait au Petit Trianon prouvaient qu'elle était "bourgeoise" et, lorsqu'elle se promenait avec ses belles-sœurs les soirs d'été sur la terrasse de Versailles, elle était "suspecte". Lorsqu'elle devint moins frivole, on la dit "intrigante". Ligne rappela que, parallèlement à la vie qu'elle menait avec ses amis, elle maintenait le cérémonial entourant une reine de France. "La reine n'a pas négligé un dîner public ; ses jeux de représentation si ennuyeux du mercredi et du dimanche ; les mardis des ambassadeurs et des étrangers ; les présentations ; ce qu'on appelait les révérences ; la cour du matin qu'on appelait la toilette de la reine avant le passage de la galerie pour la messe, tous les jours ; grand couvert ; grandes loges ; soupers dans les cabinets les mardis et les jeudis avec les nobles ennuyeux, etc."
Pourtant, même à la Cour, on n'aimait ni ne respectait la reine. Écervelée et égoïste, elle n'avait appris à écrire correctement qu'à l'âge de treize ans. Elle ignorait l'étiquette, laissant sa dame de compagnie loin en arrière lorsqu'elle se promenait à cheval en compagnie de Ligne, ou jetant dans le lac les chapeaux de ses invités à la fin d'un dîner au Petit Trianon. En sa présence, mais derrière son dos, Artois et Mme de Polignac critiquaient son manque de dignité et son excessif attachement aux Habsbourg. [...] Ligne écrira plus tard à sa fille Christine qu'il était peut-être le seul à aimer sincèrement Marie-Antoinette.

Le comte d'Artois, depuis Charles X (1757-1836), par Richard Cosway (1742-1821). Peinture sur ivoire de 1786, produite en Angleterre, conservée à Chantilly, musée Condé (Hauteur : 0,105 m ; Longueur : 0,085 m. N° d'inventaire : OA1488).

Sous Louis XIV, les invitations pour Marly étaient si convoitées que les courtisans s'alignaient le long du chemin qu'il empruntait pour aller à la messe, suppliant : "Marly, sire ?". Sous Louis XVI, si peu nombreuses étaient les dames désirant se rendre à Marly qu'une visite de la Cour dut être annulée. Au début des années 1780, les gens qui, à l'Opéra de Paris, essayaient d'acclamer Marie-Antoinette se faisaient huer. Pour ligne, la solution résidait dans l'installation de la Cour à Paris. La distance, le climat et l'atmosphère de Versailles étaient oppressants La "cour de gaieté" devait vivre dans un Louvre restauré et agrandi, face à une magnifique place qui s'étendrait jusqu'aux Tuileries (un programme que réalisera Napoléon III). "Que Paris voie, aime et connaisse ses souverains.""

Source : Philip Mansel, Charles-Joseph de Ligne 1735-1814, éd. Stock, 1992, p.76-77.

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